ans le vignoble, « l'utilisation du phosphonate de potassium n'est pas conforme aux objectifs et aux principes de la production biologique et il est recommandé de ne pas l’inclure » parmi les produits autorisés en bio conclut ce 22 juillet le groupe d'experts pour le conseil technique sur la production biologique (EGTOP). Conforme aux avis de 2014 et 2019 du même groupe d’experts européens, ce refus de l'antimildiou est en ligne avec l’opposition des principaux pays viticoles bio (France, Espagne, Italie et Portugal, mais aussi Bulgarie, Croatie, Roumanie et Slovénie) qui rejettent ce fongicide pour son origine de synthèse, son action systémique, la possibilité qu’une autorisation viticole ouvre la porte à un usage dans d’autres cultures bio, l’interdiction des phosphonates pour les vins bio dans des marchés export (notamment les Etats-Unis, le Canada, le Japon et le Royaume-Uni, soit 58 % des exportations françaises de vins bio), les risques environnementaux et sanitaires, ainsi que la présence dans les vins de résidus (l'acide phosphonique).
Une fin de non-recevoir qui ne passe pas pour les vignobles bio plus septentrionaux que sont l’Allemagne (ayant demandé fin 2024 ce nouvel examen), l’Autriche, la Hongrie, le Luxembourg, les Pays-Bas et la république Tchèque, où l’on argumente que les phosphonates sont présents dans la nature, qu’ils réduisent l’usage de cuivre et que l’impact sanitaire est faible à nul. Ces partisans des phosphonates estiment surtout que sans ces traitements, la viticulture bio est condamnée par le climat humide dans les vignobles du Nord. Et où l’on rappelle qu’avant 2013, et la définition européenne des phosphonates comme substance active pour produit phytopharmaceutique, son usage comme biostimulant dans le vignoble bio* donnait de bons résultats sanitaires en réduisant les doses de cuivre.


Sollicité pour donner un avis consultatif sur l’intégration, ou non, des phosphonates dans la réglementation européenne 2021/11652, l’EGTOP « a identifié un certain nombre d'arguments contre l'autorisation du phosphonate de potassium, ainsi qu'un certain nombre d'arguments en faveur de son autorisation. Toutefois, il n'a pas pu parvenir à un consensus sur le poids relatif accordé à chacun de ces arguments. » Sur les 10 experts, un a défendu l’usage des phosphonates et un s’est abstenu lors du vote. Ce qui amène l’EGTOP à la conclusion que « le cumul d’une fabrication synthétique, de résidus et d’une similitude avec la production conventionnelle pouvait avoir une incidence sur la crédibilité de la production biologique », imposant que « l'utilisation du phosphonate de potassium n'était pas conforme aux objectifs et aux principes de la production biologique ».
Le possible embrouillamini entre bio et conventionnel est le nœud du problème pour Sébastien David, président France Vin Bio : « il n’y a pas moyens de différencier des résidus de phosphonates de ceux de fosétyl-Aluminium. Cela peut créer un doute. Et il y a des résidus pendant 2 à 3 ans dans les vignes et les vins après utilisations de phosphonates, même avant la fleur comme proposé par l’Allemagne. Avec qui nous restons en désaccord sur le mot de naturalité pour les phosphonates. S’ils sont présents dans des coraux en pleine mer, ils sont obtenus par synthétisation. Les consommateurs de vins bio attendent une naturalité plus exprimée. » Si le rapport d’experts EGTOP va dans le sens de la filière française (sans lui donner raison à 100 %, mais plutôt à 80 %), il n’y a pas de victoire des uns et de défaites des autres pour Sébastien David qui alerte sur le besoin de souder la viticulture bio européenne face aux enjeux commerciaux actuels. « Les phosphonates ne vont pas sauver la viticulture bio, c’est l’adaptation au changement de consommation qui est le gros morceau » résume le vigneron angevin.
Déception sans étonnement en Allemagne
Dans l'immédiat, le rapport EGTOP ne passe pas pour l'Association des viticulteurs allemands (DVW), qui indique à Vitisphere que « si ces conclusions ne sont pas tout à fait surprenantes au vu des discussions menées ces dernières années », cet avis va à l’encontre des ambitions européennes de développement de l'agriculture biologique : pour « assurer la viabilité future de la viticulture biologique en Allemagne, mais aussi dans d'autres régions viticoles d'Europe centrale et méridionale, l'autorisation du phosphonate de potassium est absolument nécessaire » car « sans alternatives efficaces de ce type, l'avenir de la viticulture biologique est menacé ». S’appuyant sur une étude de l'Institut Julius Kühn (qui « prouve que cette substance est naturelle et que ses résidus sont sans danger pour la santé »), le DVW demande à la Commission Européenne d’autoriser les phosphonates en viticulture bio.
Suite à l’avis d’EGTOP, la Commission européenne peut proposer, ou non, l’étude d’une autorisation des phosphonates aux 27 États membres. « Si proposition il y a, c’est pour les inclure et ça devra être soumis au vote. Sinon, le dossier est terminé » résume un connaisseur français du dossier. « Les commissaires doivent désormais se positionner. Il n’est jamais arrivé que la Commission aille à l’encontre d’un rapport d’expert, mais c’est la politique maintenant » pointe Sébastien David. Sachant que la viticulture bio a d’autres fers au feu, et pas des moindres alors que la réévaluation de l’usage du cuivre en cours, comme l’autorisation européenne délivrée en 2018 expire en décembre 2025. L’EGTOP estime peu probable que la réévaluation soit achevée d’ici là. « Aujourd’hui, il n’y a pas d’alternative au cuivre et il n’y a surtout pas de recherche sur des produits alternatifs » alerte Sébastien David.
* : Cet usage était autorisé en Allemagne, Autriche, Espagne, Grèce, Hongrie, Slovaquie et Tchéquie.