our la troisième année consécutive, les viticulteurs du célèbre vignoble de Porto subissent de plein fouet les effets de la crise, exacerbée cette année par les tarifs douaniers et les incertitudes sur le marché américain. « De toute ma vie professionnelle, 2024 était la pire année que j’ai connue jusqu’à présent », reconnaît Paulo Amorim, président de l’ANCEVE, l’association nationale des négociants et exportateurs de vins et spiritueux. « De nombreux viticulteurs ont laissé des raisins sur pied, soit parce qu’ils n’ont pas trouvé d’acheteurs, soit parce que le prix qui leur était proposé représentait une perte trop importante et ne compensait pas leur travail après une année d’investissement dans les vignes. Malheureusement, cette année risque d’être encore pire, beaucoup de viticulteurs ayant été informés par leurs acheteurs traditionnels qu’ils n’achèteront pas leurs raisins. Et cela ne concerne pas uniquement le vignoble du Douro mais aussi bon nombre d’autres régions ».
Victime d’un changement des habitudes de consommationLes tensions atteignent leur paroxysme dans la célèbre vallée, les habitudes de consommation favorisant davantage les vins légers et frais à l’heure actuelle que les portos. Selon le président de l’Association des entreprises du vin de Porto (AEVP), Antonio Filipe, les ventes du célèbre vin de liqueur ont chuté de 32% depuis l’an 2000. La perte d’un tiers du marché mondial du porto amène les producteurs à réduire le « beneficio », soit la quantité totale pouvant être produite. Ce volume est passé de 116 000 « pipas » ou barriques de 550 litres en 2022 à 104 000 en 2023 puis 90 000 l’an dernier. Pour cette année, l’AEVP propose de réduire encore la voilure pour passer à 68 000 tonneaux. Autant dire une perte de revenus significative pour les viticulteurs de la Vallée, dont beaucoup sont de petits producteurs.
Plus de 100M€ demandés à l’Europe
Dans ce contexte, le Portugal a sollicité l’Union Européenne pour venir en aide à son secteur vitivinicole. D’après les médias portugais, le ministre de l’Agriculture, José Manuel Fernandes, a demandé plus de 100 millions d’euros d’aide pour soutenir producteurs indépendants et coopératives confrontés à des stocks excédentaires et à la baisse des ventes et des prix. Parmi les mesures proposées figurent une aide à la distillation aux viticulteurs du Douro qui s’engageraient à réduire leur potentiel de production. L’an dernier, une aide nationale de 15 millions d’euros, destinée à financer notamment la distillation, a été octroyée par la Commission Européenne. « Beaucoup de producteurs demandent le renouvellement de la distillation de crise cette année », regrette Paulo Amorim. « Pour moi, ce n’est pas une solution. A quoi bon produire du vin pour ensuite le brûler ? » Quant à une autre mesure, qui propose que l’Etat rachète des invendus des caves coopératives, le professionnel portugais estime qu’elle pénaliserait les producteurs indépendants et ne s’attaquerait pas à l’origine des problèmes : « A l’exception de certaines d’entre elles, les coopératives portugaises devraient être modernisées et poussées à adopter de nouvelles méthodes de gouvernance et de gestion ».
Pointant des défaillances de gouvernance au sein de la filière au sens large – depuis le limogeage « verbal » du conseil d’administration de l’Institut de la Vigne et du Vin en début d’année – le président de l’ANCEVE affirme que les fonds publics doivent plutôt servir à la promotion, permettant la création de valeur tout au long de la chaîne. « Depuis des années, j’estime que le vin portugais est vendu trop peu cher sur les marchés internationaux, alors que la qualité de nos produits est désormais reconnue, mettant à mal toute la chaîne de valeur ». Les efforts de promotion s’avèrent d’autant plus critiques à l’heure actuelle que le professionnel portugais souligne une concurrence accrue sur les marchés traditionnels du fait de la fermeture de fait du marché américain. En attendant de connaître le potentiel de production pour cette année – les conditions météorologiques rendant difficiles des prévisions actuellement – il y a fort à parier que des raisins seront de nouveau laissés sur pied. « Paradoxalement, si la récolte s’avère inférieure à la moyenne cette année, cela pourrait nous aider », reconnaît Paulo Amorim à contrecœur.