isparu ce lundi 14 juillet à 79 ans, maître Éric Agostini était une figure du droit viticole au-delà du barreau de Bordeaux et de ses vins. Toujours actif, le professeur de droit enseignait le droit viticole, mais aussi international, privé, des marques… Ayant sans doute participé à la plupart des dossiers juridiques importants pour la filière vin, l’agrégé des facultés de droit s’est illustré dans tous les vignobles français, notamment dans ceux de Bordeaux dont il était originaire (étant apparenté à la famille médocaine des Gasqueton) où il défendait dernièrement le château Pauillac mis en cause par l’INAO, les attaques des voisins du château Figeac gagnées et plus disputées, le dossier Caudalie et "grand cru"… Ou l’affaire Petrus contre Petrus Lambertini, où il notait en mai 2023 une condamnation « énorme » pour ses clients et philosophait : « on ne commente pas une décision de justice, on la subit. Heureusement, on peut la contester. Nous ne nous en priverons pas. »
Fin connaisseur du droit, c’était une personne cultivée et passionnée comme témoigne son épouse, Hanna Agostini. « Il lisait une quinzaine de langues, il pouvait déclamer des vers pendant des heures et des heures » rapporte-t-elle, soulignant les pans inconnus de la vie de son mari : « c’était un sportif de haut niveau, mais il a arrêté le hockey après un grave accident de voiture dans les années 1970. IL a eu le record de transfusion de France et trois thèses ont été écrites sur son cas… » Dans son domaine de compétence, « il a fait trembler de grandes maisons, qui se sont aperçues que leurs marques n’étaient pas si bien protégées » rapporte maître Fabrice Delavoye, avocat étant intervenu dans des dossiers aux côtés d’Éric Agostini. « Il fait partie de ceux ayant obligé les propriétaires viticoles à mettre en place une meilleure protection de leurs marques » note l’avocat bordelais. Qui reconnaît qu’Éric Agostini avait une réputation de provocateur : « il avait très grande liberté de parole et il aimait prendre le contrepied des gens qu’il avait à table, autour de lui, de la société… Il se démarquait par des prises de position qui ne se laissaient pas porter par le vent. »


Ayant collectionné les très grands noms du vignoble, comme clients ou adversaires, Éric Agostini a notamment conseillé dans les années 1990 un éminent propriétaire de grand cru classé de la rive droite : « mémoire fabuleuse, chanteur exceptionnel. Intelligence rare. » En somme, « son pouvoir était simple, celui tiré de l’intelligence des hommes et du droit, du cœur et de l’esprit » salue son confrère maître Jean-Philippe Magret. L’ancien bâtonnier de Libourne est « certain que tous nos confrères ressentent une vraie tristesse, car nous avions à la fois pour lui du respect, de l’admiration et beaucoup de tendresse, notamment à l’écoute de ses histoires que lui seul connaissait. » Jean-Philippe Magret partageant le souvenir d’« une réunion de travail sur les marques et le droit de préemption de la SAFER chez monsieur et madame Marcel Guigal à Ampuis. Sur le grand perron du château, dominant le Rhône qui s’écoulait majestueusement, Eric se mit à chanter avec force et justesse : "O sole mio", quelle magnifique voix de ténor. »
Ayant réservé une partie de ses talents à ses proches, Éric Agostini était prodigue et généreux dans la formation et la transmission aux jeunes générations. Il a notamment porté la naissance du master droit de la vigne et du vin en 1984 à Bordeaux (avec maître Dominique Denis et Catherine Lalumière). « C’était l’un des meilleurs spécialistes de France sur les questions de marques viticoles, peut être le meilleur. Au départ il était spécialiste de droit international privé, il s’est spécialisé au fil du temps dans le droit des marques, qu’il a marqué » rapporte Jean-Marc Bahans, qui a dirigé le master vigne et vin de 2005 à 2015. « J’ai été son élève, il a été mon maître » résume le docteur en droit, saluant « une personnalité très forte. C’était un homme d’une immense culture, non seulement juridique, mais littéraire et historique. On s’en rend compte dans son ouvrage sur le droit comparé, qui traite du monde musulman comme du droit soviétique. »


Actuel directeur du master en droit de la vigne et du vin à l’Université Montesquieu-Bordeaux IV, le professeur Ronan Raffray note que « de nombreuses générations se souviendront longtemps de ses cours en amphithéâtre, de droit international privé, toujours dispensés en robe, et souvent le samedi matin » pour les élèves en DEA droit privé (sur le droit comparé) et du master droit de la vigne et du vin (sur le droit des marques viticoles). Ayant signé des ouvrages de référence, Éric Agostini était un « professeur respecté et redouté pour ses prises de position tranchées et iconoclastes, il mettait un point d'honneur à exercer son métier en toute indépendance, n'hésitant pas à inviter ses promotions pour des cours à domicile, accompagnés d'une ou plusieurs bouteilles de sa cave, qui a également fait rêver une bonne partie de ses étudiants. Autres temps, autres mœurs » sourit Ronan Raffray. « Compétent, dur au mal, habile et rusé, il a accompagné pendant plusieurs décennies les conflits et vicissitudes de la filière et laissera une empreinte indélébile sur tous les juristes du vin » poursuit le professeur de droit, reconnaissant que maître Éric Agostini était clivant : « il avait beaucoup d'amis et autant d'adversaires, chacun s'accordant néanmoins sur ses compétences rares et sur la possibilité, les quelques fois où il consentait à fendre l'armure, d'accéder à une personnalité complexe et terriblement attachante. »
Dans la lignée d’élèves devenus professionnels du droit, le professeur de droit Michel Menjucq (Université Paris I, la Sorbonne) rapporte qu’Éric Agostini « a marqué des générations d’étudiants. Il a longtemps fait le cours d’introduction au droit, en toge de professeur, sans aucun notes. Il pouvait parler 2 heures, en citant de tête la date exacte des décisions de justice tout en donnant les références Dalloz, page comprise. » Alliant la théorie et la pratique, Éric Agostini était « à la fois universitaire et praticien, le panel complet du juriste » salue Michel Menjucq qui note qu’en matière viticole, son professeur et collègue « prenait des positions, qui ne plaisaient pas toujours. Il pouvait être assez tranché dans ses avis. » Le spécialiste parisien du droit international des sociétés et des procédures collectives souligne également « la liberté de parole et de ton qui lui était propre, qui pouvait parfois heurter. C’était une personnalité hors norme, avec une très grande culture, une très vive intelligence et une mémoire hors du commun. »
Parmi la relève d'avocats bordelais formée par le professeur Éric Agostini, maître Alexandre Bienvenu se souvient d’« un professeur d’une culture immense, provocateur - certains diront politiquement incorrect ! - mais qui avait une vraie pensée, qui nous faisait réfléchir et qui nous a fait aimer le Droit, discipline qui n’est pas une simple combinaison de normes mais une partie de notre culture. Une sorte d’Allan Bloom à la française, qui pouvait faire cours à quelques "happy few" à son cabinet rue Frantz Despagnet ou chez lui, au Bouscat. Ce sont des moments inoubliables. » Expert en droit viticole, l’avocat bordelais continue d’apprendre de son professeur par ses publications : « par exemple ses notes et chroniques au Dalloz, qui pour certaines ont plus de trente ans, sont des écrits auxquels je me rapporte encore régulièrement, pour retrouver une idée, confronter une réflexion, ou ne serait-ce que pour le plaisir de relire une formule bien ciselée… » Et au-delà de l’armure, ou de la robe d’avocat, il y avait la personne : « il nous arrivait de nous voir, pour parler d’un dossier ou d’un article qu’il était en train d’écrire, puis la conversation dérivait sur d’autres sujets, il récitait un poème, chantait un refrain, et le vin des amis était excellent ! » se souvient Alexandre Bienvenu, estimant qu’« il pouvait être très caustique, provocateur et terriblement drôle, mais comme tous les provocateurs, il masquait une personnalité sensible et très attachante ».


« Appliquer le droit au vin, c’est appliquer la loi à une matière liquide, difficile à saisir » lançait Éric Agostini en octobre 2017, pointant que, malgré la diversité des juridictions et de leurs socles juridiques, « tous les chemins mènent à Rome », se souvenant des attaques pour parasitisme dans les 1980 des propriétés Rothschild contre les marques et publicités de l’entrepreneur allemand Helmut Rothschild dans cinq pays. « À chaque fois la famille Rothschild a remporté la procédure, mais le même résultat était obtenu par cinq bases juridiques différentes : en Allemagne le droit au nom individuel, en Suisse le droit général à la personnalité, au Royaume-Uni le passing off, aux États-Unis l’unfair competition act et le droit des marques en France (jugement du 10 juillet 1986 à Paris) » détaillait le professeur de droit. Notamment avec malice une constante : qu’il s’agisse de défense ou d’attaque, les coûts de l’avocat restent trop importants au goût de la filière vin. « Pour le viticulteur, tout est trop cher. Excepté son vin, c’est une constance ! »
Respecté pour son habileté juridique, maître Éric Agostini était un adversaire redoutable et redouté ayant pu faire peur à des confrères et consœurs marqués par ses saillies. Sa liberté de ton étant totale, pouvant aller vers des dérapages. Son implication dans l'opaque affaire Roger Geens/Robert Parker lui est également reproché par ses critiques, qui ne manquent pas à Bordeaux. Personnalité aussi clivante pour ceux l’ayant affronté que sensible pour ceux l’ayant connu, Éric Agostini était une figure paradoxale. « Il ne s’attaquait jamais aux gens. Il critiquait les idées, prenait le temps avec ses étudiants et a changé des vies » rapporte Hanna Agostini. « Il aimait la vie, la dérision mais par-dessus tout sa famille, fidèle à cette pensée de Camus : "la vraie générosité consiste à tout donner au présent" » ajoute Jean-Philippe Magret.
Obsèques vendredi en robe d'avocat
Une cérémonie d’obsèques se tiendra à l’église Sainte-Clotilde du Bouscat ce vendredi 18 juillet à 10h, le port de la toge étant souhaité par la famille.