ans les coopératives, la question du prix du vin est primordiale pour rémunérer les apporteurs et assurer le fonctionnement de la cave. Quelle est la situation pour la cave dans un marché du vrac difficile ?
Martial Bories : Nous sommes au pied du mur, car tant que nos acheteurs savent qu’il y a du vin à volonté, les prix ne bougeront pas. Sur l’exercice en cours, correspondant à la récolte 2024, nous avions décidé d’anticiper les difficultés que le marché annonçait en diminuant les acomptes aux adhérents de 30 %, et nous avons bien fait car les retiraisons ont nettement diminué au cours de cette campagne. Depuis janvier, la moyenne des retiraisons tourne à 9 000 hl/mois, contre 20 000 hl/mois pour notre rythme de croisière habituel. On parle pourtant de vins contractualisés.
Quel est l’impact sur le financement et la trésorerie de la cave ?
Le calcul est simple, la rémunération de nos adhérents et le fonctionnement de la cave, c’est 1,7 million € à sortir chaque mois, pour une trésorerie de 14 millions €. Les vins ne sortent pas, donc à ce rythme, dans un an on est morts et en cessation de paiement. Nous travaillons en collaboration rapprochée avec les banques, qui jouent le jeu et nous ont assuré de leur soutien, mais tous les coûts sont portés par la cave. Dans notre histoire, c’est la première fois que nous nous retrouvons dans une situation où nous avons encore 70 000hl du millésime 2024 à contractualiser, auxquels s’ajoutent 130 000 hl de 2023 et 2024 qui ne sont pas encore retirés. Ce sont donc 200 000 hl, soit quasiment une récolte, qui sont en stock, à deux mois de la récolte 2025 qui s’annonce tout sauf maigre. Sans parler du fait que nous payons les acomptes sur des projections de ventes de ces vins à des prix de marché, mais va-t-on les vendre à ce prix-là ? Et dans le cas contraire, d’où allons-nous sortir l’argent ? C’est pour ça que je dis qu’à ce rythme, nous tiendrons un an, mais pas plus. Donc même une structure comme la nôtre, qui a pu investir 27 millions € depuis 2003 pour fournir des vins en phase avec les attentes de nos acheteurs, se retrouve dans une situation de tension face à ce niveau de sorties qui se dégrade.
Outre le prix, quelles sont les solutions ? Optimiser encore vos charges de fonctionnement ? Encore moins rémunérer les adhérents ? Une nouvelle fusion ?
Du côté des adhérents, la rémunération passe de 5 400 €/ha aux alentours de 4 000 €/ha, alors que leur seuil de rentabilité, s’ils veulent se verser un salaire, est justement à 5 400 €/ha. Pas question de fusionner non plus, pour avoir encore plus de volume qu’on n’est pas en mesure de vendre. Globalement d’une année sur l’autre, nous ne sommes pas capables de vendre plus que 200-210 000 hl. Et du côté des charges à optimiser, nous sommes passés en quelques années d’une centaine à une cinquantaine de saisonniers, et une structure de notre taille ne tourne qu’avec 22 salariés permanents. Et pour parler des charges, justement, 3 permanents sont entièrement dédiés à la gestion des certifications et normes environnementales. Le poids des charges environnementales n’a fait que s’accentuer, sans aucune valorisation complémentaire en contrepartie. A titre d’exemple, nous avons fait le choix de la certification Terra Vitis (1 800 ha) plutôt que le bio. Enfin, Il y a aussi des outils simples, et qui ne couteraient rien à l’Etat, pour apporter un peu d’air aux coopératives, à commencer par des reports d’amortissements et d’emprunts.
Vous parlez de votre coopérative, mais la situation est généralisée…
En résumé, les caves sont pleines, il n’y a pas de trésorerie, la situation économique peut devenir catastrophique. Nos partenariats sont pourtant solides, contrairement à d’autres caves plus exposées à des acheteurs plus volatils, mais on ne peut que se résigner sur le niveaux de prix. Et puis la réalité d’une cave aujourd’hui, c’est que même lorsqu’on contractualise du vrac IGP pays d’Oc à 80 €/hl pour du vin brut, et que finalement l’acheteur nous demande d’assumer l’ajout de copeaux, collage-filtration, le stockage réfrigéré en attendant des retiraisons qui trainent, ça nous fait quoi à la fin ? Une valeur réelle IGP pays d’Oc plus près des 50 €/hl que de 80 €/hl pour la cave !
Dès qu’il s’agit de prix, le négoce dit que c’est la Grande Distibution (GD), la GD dit que c’est le négoce, et nous caves coopératives qui les fournissons, ne sommes pas capables de nous entendre pour faire front et défendre des niveaux de prix suffisants pour rémunérer nos adhérents. Malheureusement, nous sommes aussi des entreprises en concurrence et il y en aura toujours un pour lâcher, pour vider la cave et faire rentrer un peu de trésorerie. C’est de notre faute à tous si on retrouve des vins à 1,99 € la bouteille chez Lidl. Pourtant, le calcul est relativement simple car la clé, ce sont ces 15 centimes d’euros par bouteille qui ramèneraient 15 €/hl de plus au producteur.
Alors, nous essayons de nouvelles choses. Pour la première fois, nous travaillons en direct avec la grande distribution pour proposer une gamme à 9,5 %vol, grâce à l’expertise développée sur les faibles teneurs en alcool avec nos partenaires. Ce n’est pas comme ça que nous écoulerons 230 000 hl, et notre cœur de métier et notre avenir restera toujours très majoritairement la production de vrac, mais ce genre de complément nous permet de récupérer de la valeur ajoutée que nous n’avons jamais par le vrac.