Si les 38°C ou 39°C annoncés sous abri aujourd’hui et ce samedi 21 juin à Bordeaux et dans les vignobles de l’agglomération comme Pessac-Léognan se confirment, les températures de la surface des baies bien exposées au soleil vont atteindre au moins 43°C*. Au stade petit pois, c’est suffisant pour qu’elles grillent, se fripent, et finissent par devenir des raisins secs qui ne pourront pas être vinifiés », annonce Julia Gouot s’appuyant sur les essais réalisés lors de sa thèse au National Wine and Grape Industry Centre de Wagga Wagga, en Australie, lui ayant permis de définir des seuils de températures létales pour les baies de syrah à différents stades phénologiques. « Les premières nécroses peuvent appraître dès 40°C au moment de la nouaison, dès 42°C à la véraison, et seulement à partir de 50°C à maturité. Cela est dû à l’acclimatation des baies à la chaleur au fur et à mesure de l’avancée du cycle végétatif, résume la docteure désormais chargée de projets R&D sur la viticulture et le changement climatique pour la cellule de transfert Vitinnov. A ce propos, comme nous dépassons régulièrement les 30°C depuis déjà 15 jours, il est possible que les grillures soient plus limitées. »
A Bordeaux, mais aussi à Cognac ou Bergerac, et plus généralement dans tout le Sud-Ouest, les dégâts seront également fonction de la durée de la vague de chaleur, de l’humidité relative, et du vent. Ils ne dépendront en revanche pas du statut hydrique de la vigne. « Ce n’est pas parce qu’on boit des litres d’eau à la plage qu’on ne prend pas de coups de soleil », illustre Julia Gouot.
Les viticulteurs ont quelques coups à jouer pour limiter la casse sans bouleverser leur itinéraire technique. Ils doivent bien sûr renoncer à traiter au soufre, dont les résidus intensifient les brûlures. Ils peuvent aussi faire une pause dans l’effeuillage pour maintenir de l’ombrage, et, s’il est encore temps, retarder le relevage. « A ce propos, je sais qu’un viticulteur languedocien traumatisé par les conséquences de l’épisode caniculaire et les 46°C enregistrés le 28 juin 2019 dépalisse désormais ses vignes lorsqu’un coup de chaud est annoncé, et qu’en Australie la préconisation est de dégrafer une agrafe du côté soleil couchant pour faire retomber la canopée sur les baies », indique Julia Gouot, plus mitigée sur l’efficacité de l’argile blanche. « Elle colle bien au feuillage mais ne fait pour l’instant pas de miracles sur baies. Or, les températures de ces prochains jours ne devraient pas poser de problèmes aux feuilles qui sont capables d’évapotranspirer, et, contrairement aux baies, brûlent d’autant moins vite que la vigne bénéficie d’un bon statut hydrique, ce qui est actuellement le cas à Bordeaux », analyse la docteure.
Souhaitant conclure sur un message optimiste, Julia Gouot rappelle que la vigne aime le chaud. « Même avec quelques brûlures et une légère perte de rendement, les vignerons ont fait un super millésime en 2022, se souvient-elle. Quelques pics de chaleur par ci par là ne sont pas catastrophiques tant qu’ils n’atteignent pas le record de 2019. »
*Vitinnov a placé cette campagne toute une batterie de capteurs dans la parcelle expérimentale de la Grande Ferrade, à Villenave d’Ornon, et chez quelques viticulteurs pour évaluer précisément l’écart entre la température relevée par une station météo placée sous abri à 2 mètres du sol et celle enregistrée à la surface de baies au soleil dans des rangs de différentes orientations et pentes et sur des sols aux couleurs et à l’albédo variables.