yant changé 4 300 hectolitres de vins de Pays d’Oc IGP et vins de table de l’Aude ou de l’Hérault en appellations bordelaises (Bordeaux supérieur, Margaux, Pauillac, Pessac-Léognan, Pomerol, Saint-Julien…), l’affaire Ferrer ne change pas le carrosse de l’instruction judiciaire en citrouille. Et ce malgré des années à ferrailler sur la procédure judiciaire. Ce 22 mai, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Bordeaux sort ce dossier emblématique de fraudes aux vins de Bordeaux des limbes en validant la poursuite de « l'élément central dans l'organisation d'un système frauduleux ». Ainsi, la juridiction « ordonne le renvoi de Sandrine Yanka Ferrer devant le tribunal correctionnel de Libourne […] pour y être jugée » sur les chefs de « circulation de vins sans documents d’accompagnement conformes, omission ou inexactitude dans le registre des entrées et sorties, tromperie sur la nature, la qualité substantielle, l’origine ou la quantité d’une marchandise, tromperie pour faire croire qu’un produit bénéficie d’une appellation d’origine ».
Mise en œuvre sur 23 circuits de vins suspicieux de 2012 à 2014, la fraude révélée par les Douanes repose sur un tour de passe-passe de Documents d’Accompagnement Électronique (DAE). En même temps que le camion-citerne se voit notifié un changement de destination en cours de transport (sans rupture de charge), le titre de mouvement de départ d’un vin languedocien est remplacé par celui d’arrivée d’un vin bordelais (même le millésime pouvait changer à volonté). Un jeu d’écriture opéré par les négoces Signes de Terres, Vitales et Terres Bio sur 4 300 hectolitres de vin pour un chiffre d'affaires de 3 millions d’euros et « une marge bénéficiaire estimée, selon la facturation aux clients, à environ 2,3 millions d'euros » indique la cour d’appel.


Pour la défense de Yanka Ferrer, d’autres personnes impliquées dans les sociétés intermédiaires et dans la logistique des vins auraient dû être entendues à nouveau durant l’instruction « parce qu'il serait d'une bonne justice que la mise en examen n'ait pas seule à affronter une juridiction de jugement alors que d'autres ont pu participer à l'éventuelle commission des infractions pour lesquelles sa responsabilité est recherchée ». Rétorquant que « les personnes dont Sandrine Ferrer demande l'audition par le juge d'instruction ont toutes été entendues lors de l'enquête préliminaire », la juridiction estime « la procédure complète » et « rejette les demandes de supplément d'information ».
C’est la fraude aux autres
Lors d’un interrogatoire en mai 2023, Yanka Ferrer « admettait qu’il avait pu exister certaines infractions dans le cadre de ces 23 transports, mais qu’il ne fallait pas "globaliser le raisonnement". Elle minimisait son implication en renvoyant la responsabilité sur tous les opérateurs, et notamment le transporteur » relate la chambre de l’instruction, qui rapporte un système de défense basé sur le rejet de la faute sur toute la filière : « sur la tromperie quant au changement frauduleux de dénomination des vins, elle parlait d’une "omerta bordelaise", pratique "constante pour toute production viti-vinicole" mais soutenait qu’il n’y avait eu pas de mélanges nocifs et que l’aspect qualitatif des vins n’avait pas été remis en cause. »
Il faut reconnaître que ces vins contrefaits ont été acheté par de grands noms de la place de Bordeaux : du groupe Castel aux Grands Chais de France, en passant par le Cellier Vinicole du Blayais (la filiale du groupe coopératif Tutiac, dont un acheteur a été mis en cause dans une fraude bien plus massive : 34 587 hl de vins espagnols francisés de 2014 à 2016) et les Grands Vins de Gironde (GVG*, condamné pour une fraude de 6 000 hl de 2014 à 2015 et ayant employé un temps Yanka Ferrer, comme assistante commerciale au début des années 2000).


Cet argumentaire ne semble pas avoir convaincu la chambre de l’instruction, qui note que si « Sandrine Ferrer affirme que certains des clients acheteurs ont parfaitement eu connaissance que les vins acquis sous appellation AOC n'en étaient pas en réalité. Même si cela devait être démontré autrement que par ses seules affirmations, ce moyen ne saurait suffire à écarter la responsabilité de Sandrine Ferrer dans le délit de tromperie sur la marchandise. »
D’après les investigations menées, la cour d’appel affirme que « Sandrine Ferrer, gérante de la SARL Signes de Terres est directement intervenue, en tant que donneur d'ordre […] dans les 22 transports et opérations de négoce de vin originaire de l'Aude ou de l'Hérault à destination de la Gironde, qu'elle a acheté de grandes quantités de vin dans le Sud-Est de la France […] et qu'elle a notamment fait "retravailler" ou vinifier ces vins à Narbonne afin que ces vins aient une typicité "Bordeaux", puis qu'elle en a organisé le transport et a modifié ou fait modifier, à sa demande, les documents de transport, sur le trajet afin de changer leur dénomination ».
* : GVG est le seul négoce s’étant constitué partie civile, aux côtés de la Fédération des Négociants de Bordeaux et Libourne, la Fédération des Grands Vins de Bordeaux (FGVB), les AOC Bordeaux et Bordeaux Supérieur, Margaux, Pauillac, Pomerol et Saint-Julien, le Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux (CIVB), la Confédération Paysanne de Gironde et l’Institut National de l’Origine et de la Qualité (INAO).