uelle est l’origine de l’idée ayant conduit à la création de Vitisphere en l'an 2000 ?
Michel Remondat : Cela faisait un peu plus de 20 ans que je travaillais dans le monde du vin. D’abord directeur-animateur d’un groupement de caves coopératives, puis responsable pendant 12 ans du bureau régional viticole au Crédit Agricole du Midi et directeur à partir de 1993 du Conseil Interprofessionnel des Vins du Languedoc (CIVL). Des expériences passionnantes pour connaître et comprendre le marché du vin et participer au développement des vins du Languedoc. J’ai quitté le CIVL en 1998 avec l’intention de créer mon entreprise à Montpellier, j’avais plusieurs projets en tête…
Début décembre 1999, la directrice du salon Sitevi me met en relation avec Nicolas Motelay, installé depuis quelques années à New York comme spécialiste financier. Il observe aux États-Unis dès 1995 le démarrage d’internet. Google est lancé en 1998. Les techniques numériques se développent très vite dans tous les secteurs de l’économie américaine, notamment dans le vin. Nicolas Motelay pense que la France est plus légitime que les USA pour développer "l’Internet du Vin". Je partage son point de vue. Je rejoins l’équipe de la SA Vitivini (trois associés) qu’il a lancé et je m’installe à Montpellier, 1500 avenue de la Pompignane. Le siège social de la SA Vitivini enregistré à Paris sera, un an plus tard, transféré à Montpellier.
D’où est venu le nom "Vitisphere" ?
Pendant les premiers mois de l’année 2000, quatre à cinq personnes travaillent au bureau de Paris. Nous sommes deux à Montpellier à partir du mois de mars. Avec Nicolas, nous nous rendons compte que le nom Vitivini n’est pas assez pertinent, mais surtout une autre entreprise détient la marque Vitivini. Il nous faut donc trouver un nouveau nom ! Par hasard, je lis dans un journal économique que le groupe IBM a lancé WebSphere Application Server (WAS), une suite logicielle. Cette suite a été lancée en 1998, apparemment elle existe toujours. Je ne me suis pas intéressé à W.A.S. Mais le mot Websphere était parfait, il suffisait de remplace Web par Vitis, et Vitisphere était née.
À quoi ressemblait le site à son lancement ? Son concept était-il bien celui de salon virtuel pour mettre en relation les fournisseurs et opérateurs de la filière ?
Dans l’équipe, plusieurs personnes étaient issues d’entreprises organisatrices de salons professionnels (Salon de l’Agriculture, Sitevi ou Vinisud…). Il nous paraissait donc évident de développer le concept de salons virtuels. Notre modèle économique était calqué sur celui des salons professionnels. Mais en 2000, l’internet balbutiait. Il fallut au moins 5 ans pour que tous les vignerons, les fournisseurs, les organisations professionnelles puissent accéder à internet. La progression fut lente : 40 exposants environ sur le site Vitisphere à la fin de la première année et peu de trafic sur le salon Vitisphere. Il nous fallait attirer des visiteurs.
C’était l’apogée des prospectus papiers … J’avais 400 adresses de professionnels de la vigne et du vin dans mon "palm pilot". Nous avons décidé de construire un message numérique. La lettre numérique de Vitisphere était née ! L’envoi de la première lettre à 400 adresses mail déclencha un bond de fréquentation sur le site Vitisphere ; de moins de 50 clics par jour, la fréquentation journalière se multiplia par 4.
La première lettre envoyée début 2001 reprenait et synthétisait les informations lues sur la presse écrite professionnelle ou entendues à la radio. Nous sommes parmi les premiers sites Internet à avoir diffusé une E-lettre d’abord chaque quinzaine, puis chaque semaine, etc…
Quand le site est-il devenu un média pour vous ?
Assez rapidement. Parmi les premières recrues de Vitisphere Montpellier, nous avons recruté une ancienne journaliste de la Journée Vinicole. Tout un symbole. La Journée Vinicole était le journal le plus diffusé dans la filière vin à la fin du XXème siècle. Assez rapidement nous avons recherché des informations, parfois communiquées par nos exposants.
Pendant les deux premières années, la lettre de Vitisphere était une petite synthèse de l’information vitivinicole, avec un agenda, avec la mise en avant de nos exposants… Au cours des 2 ou 3 premières années, le contenu s’enrichissait par l’achat de contenus auprès de pigistes spécialisés. Le site Vitisphere était de plus en plus connu, la fréquentation progressait. Nous avions développé une base d’adresses de plus en plus complète. Nous sentions bien que la lettre Vitisphere était lue et attendue. Nous étions présents, partenaires souvent, des salons de machinisme et de vins.
J’ai écrit mon premier édito en 2002. L’idée c’était d’insister sur l’info la plus importante, selon moi, de la semaine. En prenant parti, l’édito provoquait des réactions et un dialogue avec les acteurs du maché du vin.
Vous avez eu de nombreuses idées pour Vitisphere : Vitijob, Vindexer, Intervignes, Viavitis, Vinsenvrac, Bulles Expo… Quelles sont les réussites dont vous êtes fier et les regrets que vous avez pu nourrir après coup ?
Le lancement de Vitijob a été une réussite. Vitisphere a moins de 2 ans. Un de mes amis, négociant en vins, m’appelle : "je cherche un œnologue, est-ce que tu pourrais diffuser un message sur ton site ?" Pourquoi pas ? Nous diffusons le message dans l’une des premières e-lettres. Le retour est étonnant : l’employeur reçoit une dizaine de CV, tous bien ciblés ! En moins de 2 ou 3 mois, la petite équipe Vitisphere développe un deuxième site, Vitijob, devenu, probablement, le site le plus utilisé dans la filière vin en France. Il crée une image positive pour Vitisphere et il contribue significativement à la croissance du chiffre d’affaires.
Bien sûr que j’ai des regrets. Vinsenvrac.com, conçu à partir de 2011 par l’équipe de Vitisphere pour fournir un outil puissant et international aux courtiers en vins, a d’abord été applaudi en assemblée générale par les courtiers, mais au moment de la mise en ligne de la plateforme, les courtiers bordelais se sont opposés à son utilisation ! On cherche toujours les responsables à la crise et à la décroissance des vins de Bordeaux. Je pense que les courtiers de Bordeaux ont leur part de responsabilité !
Autre grand regret : le salon Bulles-Expo. Je pensais que le marché des vins effervescents allait continuer à se développer… Bulles-Expo était un salon très spécialisé. Mais en installant un grand salon des Bulles à Paris, on confirmait le leadership de la France. Dommage, l’Italie, l’Espagne, et d’autres pays augmentent plus vite la production de vins effervescents…
Avec le recul, comment voyez-vous la cession de Vitisphere au Groupe France Agricole de 2014 et votre départ du site en 2017 ?
En 2014, j’approchais de l’âge légal de la retraite. Nicolas Motelay avait de nouveaux projets dans son domaine préféré. Nous étions d’accord pour vendre Vitisphere. Le groupe France Agricole est apparu comme un acheteur pertinent par son expérience informatique, par sa connaissance du monde agricole. Vitisphere apportait son expérience des contenus et des services Internet. Notre position dans le monde du vin leur permettant de maintenir une image forte dans l’économie agricole et viticole.
La rédaction des éditos vous manque-t-elle ?
Non. Vous avez continué l’édito de Vitisphere, vous avez développé les analyses, tout en gardant un esprit critique. Les lecteurs apprécient. Ils le disent.
Vous évoquiez le changement rapide, et inquiétant, de la filière vin : est-ce que la crise actuelle est sans commune mesure à ce que vous avez pu voir par le passé ? Ou est-ce juste un cycle comme on l’entend parfois ?
Depuis le début du réchauffement climatique - des climatologues le fixent au début des années 1950 - la consommation de vin en France et en Europe diminue. Elle augmentait dans les autres pays du monde, profitant de la mondialisation du commerce. Mais depuis 2015, la consommation mondiale est en baisse. Certains y voient le commencement de la démondialisation. Au total, il y a en ce moment la pression de 2 cycles… Il y a un cycle économique : mondialisation/démondialisation. Il y a un cycle de changement climatique, boosté par l’activité humaine, perceptible depuis le milieu des années 1950.
L’avenir du commerce du vin est sous tension. Si les échanges internationaux se réduisent fortement, quelle que soit la raison, la France viticole perdra beaucoup, comme l’Italie et l’Espagne qui exportent plus de volume. Avec le réchauffement de la Terre, les modalités de consommation de vin et de production seront fortement modifiées. Il faudra s’adapter. Le coût de l’adaptation sera élevé.