ous sommes en 90 après JC, pour Joseph Capus. Fin juillet 1935 paraissait le décret-loi définissant les vins d'appellation d'origine contrôlée comme la rencontre d’une origine géographique, d’un ancrage historique et de qualités organoleptiques. Soit la concrétisation de la proposition de loi déposée en mars 1935 par le sénateur bordelais Joseph Capus pour créer les AOC. Longuement mûri, politiquement et syndicalement, le projet Capus mit un terme à des décennies d’errances réglementaires ouvertes par les lois imparfaites de 1919 et 1927, qui alimentèrent une crise viticole d’ampleur (vins bradés, vignes arrachées…). Sans être parfait, le dispositif Capus a permis de créer les bases du système français des vins AOC que l’on connait depuis, avec l’INAO et sa foule d’acronymes. Comptant parmi les pères fondateurs des appellations modernes (avec le baron Le Roy), Joseph Capus n’est pas un gardien du temple pour autant. Ou alors d’« un temple où de vivants piliers laissent parfois sortir de confuses paroles » pour citer Baudelaire. Dans son ouvrage L’évolution de la législation sur les appellations d’origine (publié en 1947 et réédité en 2019 aux éditions mare & Martin), l’ingénieur agronome pose dès le départ que le concept d’appellation d’origine contrôlée n’est pas figé et doit évoluer pour progresser face aux défis techniques et économiques.
« Bien des personnes commettent une erreur au sujet de la valeur juridique de la formule "des usages locaux, loyaux et constants" [de la loi de 1919 et] s'imaginent que cette formule s'impose en quelque sorte au Comité National des Appellations d'Origine [NDLR : l’ancêtre de l’INAO] » écrit Joseph Capus, alors son président et qui rejetait l’idée que l’AOC puisse faire « obstacle au progrès » pour « respecter les usages anciens ». L’ancien directeur de la station de pathologie végétale de Cadillac estime que « c'est la qualité et la notoriété des appellations qui [importent au Comité auquel] aucun usage ancien ne s'impose. Ses décisions peuvent s'adapter à toutes les données de la science, à tous les progrès, qui sont de nature à améliorer la qualité des vins. »
Le parlementaire de la troisième république (député puis sénateur) l’illustre à Cognac, avec le changement de cépage adopté sans difficulté (l’ugni blanc remplaçant la folle blanche, sensible à la pourriture grise une fois greffée), mais aussi le rejet des alambics à "marche continue" (plus efficaces industriellement, mais jugés moins qualitatifs que l’alambic traditionnel à repasse). « Il n'y a qu'un seul progrès : c'est celui qui est constaté par une amélioration dans la qualité des vins ou de l'eau-de-vie produite » résume Joseph Capus, pour qui « à l'égard de cette formule des usages locaux, loyaux et constants, [le Comité] n'est pas un serviteur aveugle, mais il a toute son indépendance vis à-vis d'elle ».
« Capus défend son œuvre et la défend bien » note dans la préface de l’édition de 2019 le professeur en droit Théodore Georgopoulos, notant que « l'homme politique n'est pas seulement un visionnaire ; il est aussi un réaliste » pour qui « le "Comité National" n'est pas un "notaire" qui retranscrit les usages locaux, loyaux et constants, [mais acte que] l'appellation n'est pas figée, immuable dans le temps. L'approche scientifique qu'il prône, n'est pas moins accompagnée d'une dose d'équité et de bon sens. Cette réalité fut décisive dans les décennies qui ont suivi le décret-loi » du 30 juillet 1935.
Comme citation en exergue de son livre de 1947, Joseph Capus a justement choisi un extrait de la Cité Antique de l’historien Fustel de Coulanges (1864) : « il n'est pas dans la nature du droit d'être absolu et immuable ; il se modifie et se transforme, comme toute œuvre humaine. Chaque société a son droit, qui se forme et se développe avec elle, qui change comme elle, et qui suit enfin toujours le mouvement de ses institutions, de ses mœurs et de ses croyances ». Alors l’évolution des AOC 90 ans après, cap ou pas Capus d’allier modernité et qualité alors que le vignoble affronte de nouveaux vents contraires ?