’histoire viticole est-elle en panne d’inspiration ? « La détresse actuelle de nos grands crus, écrasés par l'augmentation des prix de revient, limités dans leurs débouchés par les prohibitions et restrictions de toutes sortes, vous est connue » alertait le sénateur Joseph Capus le 19 mars 1936 en commission des Douanes lors d’un point sur la situation économique des vins de Bordeaux. « C'est le prix du sol qui révèle le mieux la situation économique d'une région » lançait l’ancien directeur de la station de pathologie végétale de Cadillac, pointant qu’« en Gironde, dans une des communes les plus célèbres du Médoc, un cru classé, qui avait été estimé deux millions et demi et hypothéqué pour 1 250 000, s'est vendu dernièrement 149 000 francs, c'est-à-dire le vingtième de son prix d'estimation ».
Repris dans son ouvrage L’évolution de la législation sur les appellations d’origine (publié en 1947 par les éditions Louis Lamart et réédité en 2019 aux éditions mare & Martin), ces propos témoignent du cycle des crises viticoles. Et de leur manque d’originalité quand on voit la situation de 2025… Inspecteur du Crédit Foncier, Edmond Michel, rapportait en 1935 qu’« actuellement, les exploitations de la Gironde sont de nouveau déficitaires depuis 1930, et les prix offerts pour les vins sont inférieurs au prix de revient. Dans le Médoc, la crise sévit d'une façon particulièrement grave ; des vignes de crus classés, qui se vendaient de 15 à 20 000 francs l'hectare, ont trouvé preneur seulement à 7 000 francs l'hectare. »
Également président de la société de statistiques de France, Edmond Michel rapporte que « dans le département de la Gironde, il y avait 188 000 hectares de vignes en 1875. Il n'y en a plus que 135 940 en 1920 et on n'en compte plus que 130 971 ha en 1933. De telle sorte que le vignoble girondin a diminué de 57 000 hectares en 57 ans. » Passant sous les 100 000 ha en 2024 (avec 94 667 ha précisément d’après les dernières données des Douanes), le vignoble de Gironde a chuté de moitié en 150 ans. Un arrachage qui ne touche pas que les vignobles les moins valorisés, hier comme aujourd’hui. Dans ses notes, Edmond Michel relate qu’« un de mes correspondants, qui est administrateur et copropriétaire de plusieurs domaines dans le Médoc, me donne les renseignements suivants : dans un grand cru classé d'une commune célèbre, qui s'étendait sur 73 ha, on n'en a conservé que 7. Un cru bourgeois supérieur à 44 ha a été complètement arraché. Un vignoble de palus de 36 hectares a été ramené à 7 ha. De l’ensemble de ces domaines, qui comprenaient 203 hectares de vigne, il ne reste plus que le dixième à peu près, c'est-à-dire 25 hectares La diminution est la même dans les autres régions de vins fins de France, en Champagne et dans le Centre. »
« Faut-il s'étonner que, dans ces conditions, la mévente qui existait dans le commerce des vins fins ait eu pour conséquence la dépréciation de la valeur du sol » et donc l'arrachage pointait Joseph Capus. L’histoire se répète… La filière viticole est-elle en panne d’inspiration ?