’était à la mi-septembre 2024 : ce soir-là elle a lâché. Le Samu emmène Amandine Noriega à l’hôpital. La viticultrice à la tête des vignobles éponymes, à Porte de Benauge, dans l’Entre-Deux-Mers, restera en soin tout le week-end. Rentrée chez elle, un huissier mandaté par la MSA débarque, puis elle reçoit un courrier de l’avocat de son ex-mari qui lui réclame 100 000€ de prestation compensatoire au motif qu’elle habite la propriété familiale. Cette fois, elle rend les armes et accepte le redressement judiciaire. Le passif de son exploitation se monte à 900 000 €.
« Mon comptable m’avait dit qu’il fallait aller en redressement. Cela signifiait pour moi, échec et liquidation à court terme. Si je n’avais pas été hospitalisée, je n’aurais pas accepté. En le faisant, mes dettes ont été gelées. J’ai mis mes fournisseurs en difficulté. Et ça, c’est le plus difficile », indique-t-elle.
Son comptable et un avocat montent le dossier de redressement et saisissent le tribunal judiciaire de Bordeaux. Dans le cabinet du juge, en un quart d’heure chrono, Amandine Noriega explique sa situation : en 2021, le gel lui a fait perdre 95% de sa récolte puis 80 % en 2022. En 2023, le mildiou emporte 80% de la récolte. De surcroit cette année-là, elle perd le seul contrat qu’elle avait avec un négociant qui écoulait 70% de sa production.
Le juge a face à lui une femme qui a de l’énergie à revendre qui ne se verse pas de salaire depuis fin 2023 et pour qui les vacances sont un lointain souvenir. Mais une femme fatiguée. Depuis deux ans, Amandine fait de la prestation agricole pour faire rentrer de l’argent. Elle accumule des journées de 15 heures de travail. A 43 ans, elle élève seule ses deux enfants de 11 et 9 ans. Sa maison et ses vignes sont hypothéquées. « Si j’arrête, je perds tout », dit-elle.
Le 1er septembre 2024, le tribunal prononce le redressement judiciaire assorti d’une période d’observation de six mois, renouvelable deux fois si nécessaire. Les dettes sont gelées. «Trop de gens pensent que redressement signifie liquidation, souligne Amandine Noriega. Or le redressement constitue une chance, même si c’est la dernière, de rebondir, de trouver des leviers de développement. Pendant la période d’observation, le tribunal n’impose qu’une chose : ne pas créer de nouvelles dettes. Il ne m’a pas imposé de céder des actifs, ni d’échéancier de remboursement de mes dettes qui sont gelées jusqu’à la fin de la période d’observation quand je devrai présenter un plan de remboursement ».
Pour rebondir, elle réduit très sévèrement la voilure. Pour la récolte 2024, elle passe de 60 à 14 ha en fermage et de 32 à 27 ha en propre en arrachant 5 ha. Elle se démène pour développer la vente en bouteille qui représentait 40 000 cols en l’an dernier et viser 50% du CA par ce biais. A quelle échéance ? « Le plus vite possible », espère-t-elle. Pour y arriver, elle table sur l’œnotourisme : 400 personnes par an viennent à la propriété. « Je reste optimiste et active. Je ne compte pas mes heures », confie-t-elle. Fin février elle se retrouvera devant le juge pour faire un point d’étape.
A Plassac, Christian Gourgourio, 53 ans, l’avoue : il est suivi par un psychiatre depuis deux ans. Histoire de réparer le traumatisme causé par la mise en sauvegarde puis en redressement de son exploitation. Christian Gourgourio avait pourtant toutes les cartes en main. En 2015, alors qu’il est conseiller viticole indépendant depuis deux ans, il prend 5 ha en fermage en AOC Côtes de Bourg. Deux ans plus tard, il emprunte 450 000 € pour acquérir Château La Métairie de Monconseil, 5 ha de plus en AOC Blaye. « Jusqu’en 2021, je vendais 400 hl en vrac dans l’année et j’écoulais 6000 bouteilles auprès de cavistes et de particuliers". Sauf qu’en 2022, tout s’arrête : le négoce n’achète plus. Les ventes de bouteilles chutent à 5000 cols. Les dettes s’envolent. Sa comptable préconise une procédure de sauvegarde. Un peu perdu, début 2023, il appelle la chambre d’agriculture qui l’aiguille vers l’association Solidarité Paysans qui lui dépêche Paul Gaudin qui l’aide à remplir le formulaire de cessation de paiement avec demande de sauvegarde.
En mars 2023, Paul Gaudin l’accompagne devant le juge du tribunal judiciaire de Libourne. « Psychologiquement ça fait chaud au cœur de se sentir épaulé » indique Christian Gourgourio. Devant le juge, il explique l’arrêt total du vrac en 2022, les dettes qui s’accumulent. Tout en mettant en avant son activité de conseil qui apporte 25 000 € par an, son souhait de développer la bouteille et sa diversification dans les chênes truffiers qui seront en production en 2027.
Quinze jours plus tard, le juge accepte la procédure de sauvegarde et nomme un mandataire. Le viticulteur lui transmet la liste des créanciers, bilans, acte d’achat de la propriété, état des stocks, du matériel. Le mandataire envoie un courrier aux créanciers pour avoir confirmation du montant des dettes.
Apres deux fois six mois d’observation, Christian Gourgourio est placé en redressement judiciaire en avril 2024, ce qui lui permet de bénéficier de six mois supplémentaires de répit. « J’étais en négociation pour des marchés à l’export. J’avais besoin de ce temps avant de présenter un plan de redressement », explique-t-il. En octobre 2024, aidé par Paul Gaudin, il présente son plan avec un étalement du remboursement de ses dettes sur quinze ans et ses pistes de développement (export, trufficulture, activité de conseil) que le tribunal accepte.
En 2024, il a réalisé un CA de 60 000 €. Pour l’instant, ça passe car fin 2025 il n’aura que 1% de sa dette à rembourser et ce pendant trois ans. Puis ce taux montera en puissance. Il lui faudrait alors un CA de 135 000 € par an pour tenir son plan. « Ma trésorerie est tendue, mais je garde espoir », lâche-t-il. Reste ce sentiment de culpabilité. « Je ne suis pas à l’aise à l’idée de retourner chez les fournisseurs à qui j’ai laissé des ardoises et que je ne pourrai rembourser que dans le temps. Je vais ailleurs ». Un sentiment difficile à évacuer.
Les recommandations de Paul Gaudin, accompagnant au sein de Solidarité Paysans. 1. Avant d'aller vers une procédure collective, tournez-vous vers la MSA pour leur demander un règlement amiable qui est un mini plan d’apurement qui se fait sur 3 ou 4 ans. Il n’y a pas de publicité. C’est un accord entre les deux parties qui vous donne du temps. 2. Regardez les procédures collectives comme un outil de gestion. Cela permet de poursuivre votre activité, puisqu’il y a gel des dettes, et de souffler psychologiquement et économiquement. 3. N’attendez pas d’être à court de trésorerie pour demander l’ouverture d’une procédure collective (sauvegarde ou redressement) car cela coûte de l’argent : autour de 3000 € de frais d’ouverture, 1000 à 1500 € de frais d’inventaire d’actifs pratiqué par le commissaire-priseur et éventuellement frais d’avocat.