l s’agit d’un champ d’étude jusqu’ici inexploré par la sociologie : l’analyse des relations entre vignerons et riverains autour des tours anti-gel, des attitudes et modes d’actions de ces deux types d’acteurs. Une thématique riche d’enseignements au vu des premières recherches amorcées en 2022 par Françoise Sitnikoff, Hélène Chazal et Christèle Assegond, sociologues à l’université de Tours.
Toutes trois ont été missionnées par la fédération des Cuma du Centre Val de Loire dans le cadre de son programme de recherches SICTAG sur les éoliennes. « Le gel de 2021 a été un point de bascule : les projets de tours anti-gel se sont ensuite multipliés. Pour la Fédération des Cuma, cela pouvait conduire à des risques amplifiés de tensions avec les riverains », indiquent les sociologues.
Les tours anti-gel ne suscitent toutefois pas systématiquement l’opprobre des riverains. « A Saint-Nicolas-de-Bourgueil par exemple, il y a eu peu de contestations, sans doute en raison de l’importance de la viticulture dans l’économie locale. Les situations sont très différentes selon les contextes locaux, il n’existe pas de réponse univoque sur l’arrivée de tours anti-gel, entre les territoires et parmi les riverains eux-mêmes. Certains sont plus tolérants au bruit que d’autres. Des habitants acceptent mieux les tours, dont les usages sont ponctuels, que les traitements phytosanitaires chroniques près de chez eux », expliquent Françoise Sitnikoff et Hélène Chazal.


Au fil de leurs entretiens dans plusieurs appellations du Centre Val de Loire, les sociologues ont rencontré des résidents « résignés », et d’autres très hostiles. Comme ces propriétaires de gîtes et de chambre d’hôtes, près de Vouvray par exemple, défendant avec véhémence le paysage et le calme autour de leurs hébergements. Une éolienne avait été l’objet de vandalisme. « Une seule tour peut être un totem négatif. Mais certains riverains se sont informés sur les évolutions techniques des tours anti-gel, sur des modèles moins bruyants et sont devenus forces de proposition auprès de vignerons, qui ont ensuite opté pour d’autres éoliennes », commentent-elles.
Les universitaires ont également vu des habitants évoluer dans leurs perceptions des tours anti-gel. « A Preuilly, des riverains étaient hostiles. Puis ils ont été plus empathiques envers les vignerons suite à une tornade qui a provoqué beaucoup de dégâts dans le vignoble. Puis un projet d’éoliennes pour produire de l’électricité, plus hautes que les tours anti-gel, les a également conduit à relativiser leurs réticences ».
Du côté des vignerons, les attitudes sont elles aussi diverses. « Certains, animés par un fort sentiment de légitimité sur leurs projets dans leurs vignes, et qui ne nécessitent pas d’autorisations de la mairie, ont implanté des tours sans concertations avec les riverains. Et, face aux mécontentements de ces derniers, des vignerons sont restés inflexibles, relatent Françoise Sitnikoff et Hélène Chazal. A l’inverse, d’autres ont engagé le dialogue, ont organisé des réunions d’information. Ils ont promis aux riverains qu’ils allaient essayer de faire fonctionner leurs tours le moins possible, ont opté parfois pour des modèles mobiles. Les vignerons font souvent preuve de bonne volonté pour minimiser les nuisances sonores et visuelles, gérer au mieux leurs relations avec le voisinage. Ils sont souvent en vente directe, ils ont aussi une image à défendre. A Montlouis, ils se sont engagés dans une charte pour des tours moins bruyantes et à plus de 250 m d’habitations ».
Alors que le projet SICTAG sera prolongé par un autre programme, Optitag, les sociologues tourangelles comptent poursuivre leurs études, dans des vignobles ruraux et périurbains, marqués par des tensions ou non. « Nous souhaitons voir les résultats de la charte de Montlouis, avoir des retours d’expériences sur les tours présentées comme moins bruyantes. Notre objectif est d’aider les vignerons face aux riverains, sur les facteurs d’adhésion ou d’hostilité aux tours anti-gels ».