our la première fois le conseil des crus classés en 1855 communique dès l’automne sur la qualité du millésime qui sera présenté le printemps suivant. Est-ce le signe d’une crise pour les grands crus forcés de se réinventer ?
Philippe Tapie : C’est une excellente initiative, qui est le fruit d’une concertation entre la propriété, le courtage et le négoce. On se parle ! C’est l’un des bénéfices de la crise : dans l’adversité, on fait tous face. La famille est en ordre de marche. Plus que jamais, il est important de remettre l’église au centre du village en parlant de la qualité de nos vins. On vient d’accoucher un nouveau bébé. On ne va pas recommettre les erreurs du passé en se laissant emporter. Contrairement à ce que certains ont commencé à vouloir dire, la qualité est au rendez-vous ce millésime 2024. La surprise est plutôt bonne malgré les conditions difficiles de l’année. On ne va pas s’en cacher, ce ne sera pas le millésime du siècle.
S’il n’est pas le millésime du siècle, 2024 sera-t-il l’affaire du siècle pour relancer la demande des grands crus ?
Parlons de la qualité avant du prix. Aujourd’hui, plus que jamais, il faut revenir aux fondamentaux. C’est notre base. Nous avons un moment unique à Bordeaux, ne loupons pas ce rendez-vous et disons à nos clients de venir goûter et se faire leur propre opinion. Nous leur expliquons d’ores et déjà qu’il y a la matière pour venir. Sans faire de surenchère ou de survente, nous leur disons juste que l’on a un millésime qui tient la route. Et il y aura un problème de volumes, comme il n’y a pas de quantités extraordinaires.
Une offre réduite permettrait-elle de rééquilibrer la demande ?
Il peut être sain d’avoir une offre réduite dans le contexte actuel. Mais ce qui m’importe, c’est la qualité du produit. 2024 est un bordeaux tout à fait classique, équilibré, fin, dans l’air du temps. Ce sera un bordeaux moderne qui tient la route. Nous metteurs en marché : donner envie, ça vaut le coup.
Comment valoir le coup, mais aussi le coût ? Comment atteindre le rapport qualité/prix attractif pour toute la chaîne des grands crus ?
Ce n’est pas le négoce qui décide, c’est la propriété qui prend sa responsabilité. Nous avons passé nos messages et la photo du marché. Aux grands crus de voir s’ils veulent être ou pas dans le marché. Je suis quelqu’un de basique et de pragmatique. Il n’y a pas besoin d’avoir fait de grandes écoles pour savoir que tout est question d’offre et de demande. Même si je ne suis pas opposé à un peu de spéculation, aujourd’hui c’est la consommation qui régule le marché. Il faut revenir aux fondamentaux : que le vin soit bu. Et c’est une question de prix. À chacun de prendre ses responsabilités. Le négociant applique la décision de la propriété. Si le vin proposé est trop cher, le négociant n’a pas à l’acheter. S’il considère qu’un vin n’est pas une affaire pour ses clients, le négociant a le devoir de faire passer les bons messages à la propriété. C’est le client, le consommateur, qui est roi.
Au-delà de la baisse des prix, des acheteurs de grands crus demandent une réduction du nombre d’étiquettes mises en marché.
Cela va se faire naturellement. Mon avis personnel est qu’il faut simplifier l’offre et la rendre plus lisible. Les primeurs ont trois intérêts pour l’acheteur : la garantie de l’origine, la garantie que l’on va forcément faire une bonne affaire (se valorisant) et une garantie que les volumes mis en marché soient sérieux (s’il y a 10 % des volumes en primeur puis 90 % en livrable, ça n’a plus de sens). Il faut sauver le soldat primeur, qui est indispensable à l’identité et la singularité de Bordeaux. Nous remettons les choses dans l’ordre, on parlera business après la campagne.




