epuis 2019, Cyril Alonso, vigneron dans le Beaujolais, sème des pépins de raisin selon un process assez simple : « J’ai récupéré 10% des marcs de mes gamays* et je les ai enterrés dans un terrain assez riche. Dès le printemps suivant, j’avais des sorties. Je les récupère, et je répète l’opération chaque année depuis quatre ans. Aujourd’hui, j’ai une parcelle de 1000 pieds issus de ces pépins, plantés en francs de pied. »
Les vignes « parents » sont elles-mêmes issues d’un conservatoire de gamays, abritant 140 cultivars différents complantés. « Chaque pépin donne un nouvel individu, rappelle Cyril Alonso. Quand on goûte les raisins, c’est bluffant d’observer les différences gustatives. Un tel va avoir un goût ananas incroyable, celui d’à côté, ça va être la fraise. En plus, sans porte-greffe, les arômes sont tout de suite exacerbés. »


Le vigneron a aussi réussi à vinifier trois petites récoltes (200 litres en 2023), une micro-cuvée baptisée « Semis de pépins » qu’il fait volontiers goûter aux curieux, et dont il est plutôt satisfait. Autre observation : « Certes il y a peu de recul, mais je n’ai jamais traité ces vignes et je n’ai jamais observé aucune tâche nulle part. Certains pieds présentent des carences, mais pas de maladie, y compris en 2024. Pour moi, c’est inexplicable. » En revanche, une large part des pieds se sont révélés sexués. « On a donc besoin de pollinisateurs pour avoir des fruits. Un millésime pluvieux comme 2024 se ressent, car il y a eu moins d’insectes et donc moins de fruits. »
L’expérience se révèle étonnamment simple à mener, laisse entendre Cyril Alonso. Mais évidemment, un tel projet ne s’envisage que sur un temps très long. C’est d’ailleurs ce qui avait conduit le vigneron bourguignon Philippe Pacalet, qui avait lancé un projet similaire dans les années 2000, à abandonner la démarche au bout de trois ans. « Vous semez 10000 pépins, il en ressort deux ou trois pieds, qui en plus sont interdits en appellation, résume-t-il. Ça prend 15 ans de suivre une expérience. Clairement, il vaut mieux dans ce contexte planter des clones ou des hybrides. Pourtant le semis, c’est l’avenir, je ne comprends pas qu’on ait arrêté. On a trop concentré le réservoir génétique. Mais ça serait à l‘INRAe de faire ce boulot. »
Pour Cyril Alonso, il s’agit surtout d’ouvrir des portes. « Avoir un petit jardin de curiosité, ça change déjà les choses dans la tête d’un vigneron, observe-t-il. C’est retrouver une petite forme d’autonomie, et ça fait du bien. Tous les vignerons devraient semer des pépins de raisin dans un coin de leurs parcelles. »
Le cadre réglementaire du semis de pépins
En pratique, ce genre d’expériences n’est « pas encadrée réglementairement », explique un agent du service de certifications de France Agrimer, qui parle même de « vide juridique ». « Tant que ça reste sur l’exploitation, dans le cadre d’une expérimentation paysanne par exemple, il n’y a pas de problème. Mais si ça circule, sous forme de plants ou de bois, là il faut entrer dans un protocole de certification par France Agrimer, avec au minimum un traitement à l’eau chaude », explique-t-il, pour éviter la propagation de maladies à phytoplasmes. Mais même après avoir été ainsi sanitairement certifié, la multiplication, ou bouturage, pour d’autres professionnels, de plants non-inscrits dans le catalogue officiel des variétés reste prohibé. « On sait bien que des bois circulent, mais on voudrait bien l’éviter. »
Les contrevenants s’exposent à des amendes (forfait de 3 750 €), mais dans les faits « cela supposerait une énorme quantité de plants produits », concède l’agent. Chez les vignerons qui s’improviseraient pépiniéristes, le SRAL pourrait exiger une destruction des plants. « Mais en vingt ans de métier, je n’en ai jamais entendu parler. D’autant que quelqu’un qui voudrait s’amuser à expérimenter en semant des pépins n’a qu’à se rapprocher de nos services pour rendre la chose transparente. Nous, on s’en fiche.»