auvaise surprise pour Frédéric Féline. À la mi-juin, ce vigneron coopérateur qui exploite 37 hectares en bio à Saint-Geniès-de-Malgoirès, dans le Gard, constate que ses 2 ha d’artaban sont sérieusement attaqués par le mildiou. « La vigne était au stade fin floraison-petit pois. Les symptômes étaient visibles essentiellement sur les inflorescences qui étaient bien blanches », raconte-t-il. Depuis sa plantation en 2021, cette parcelle n’a reçu aucun traitement. De même pour celle de floréal que le vigneron a plantée l’année suivante.
Frédéric Féline voulait voir jusqu’où pouvait aller la résistance au mildiou de ces deux variétés issues du programme ResDur1 de l’Inrae. « J’ai la réponse, déclare-t-il. Cette année, les conditions climatiques ont été très favorables au mildiou. Chaque semaine, nous avons eu de la pluie. Il y avait de l’humidité dans les vignes jusqu’à 10 heures du matin. Le floréal a bien résisté malgré ces conditions extrêmes, mais pas l’artaban. »
Quinze jours avant la floraison, Frédéric Féline a oublié de fermer un côté de son pulvé lorsqu’il a traité le dernier rang de la parcelle de chardonnay qui jouxte celle d’artaban. Sur les 20 m qu’il a ainsi traités, l’artaban ne présente aucun symptôme. « J’ai la preuve qu’en conditions extrêmes il faut prévoir un ou deux traitements », constate-t-il.
Le lendemain de la découverte de l’attaque, Frédéric Féline a traité son artaban avec du Cuprocol (2,5 kg/ha), un engrais cuprique (2,5 l/ha) et du soufre (8 kg/ha), traitement qu’il a renouvelé huit jours plus tard. Grâce à cela, les dégâts ont été contenus avec des pertes qu’il estime entre 30 et 40 %. « Il y a bien eu une forme de résistance, sinon j’aurai tout perdu », conclut-il.
Au domaine Allegret, à Laudun-l’Ardoise (Gard), Didier Allegret a, lui, subi des attaques foudroyantes de mildiou sur une parcelle de 4,4 ha d’artaban et de 1,2 ha de cabernet volos. Il avait pourtant effectué deux traitements au cuivre. « Il y a eu une explosion de mildiou sur les feuilles comme sur les inflorescences. Quand j’ai fait ce constat, j’ai immédiatement refait un cuivre, puis un quatrième traitement. Rien n’y a fait. La maladie a continué à se développer. Il n’y a plus un raisin », assure-t-il le 19 juillet.
Située sur de riches bas-fonds en bordure du Rhône à Caderousse, dans le Vaucluse, cette parcelle est très vigoureuse. Des conditions très favorables au mildiou d’autant qu’elle a reçu 500 mm de pluie depuis la sortie de l’hiver.
À la suite de la découverte de ces attaques, les chambres d’agriculture de huit départements méditerranéens (Pyrénées-Orientales, Aude, Hérault, Gard, Drôme, Ardèche, Vaucluse et Bouches-du-Rhône) se sont rendues sur le terrain. Leurs techniciens ont visité 155 parcelles plantées de 32 variétés résistantes au mildiou dans des zones très diverses. Selon leur bilan publié le 16 juillet, neuf de ces parcelles présentent des dégâts notables sur grappes et seulement six subissent plus de 30 % de pertes de récolte.
En outre, les conseillers soulignent un fait surprenant. « Habituellement, on voit peu ou pas de sporulation sur les variétés résistantes attaquées par le mildiou contrairement aux symptômes sur les cépages traditionnels. Or, cette année, dans les parcelles contaminées, il y a eu de la sporulation, ce qui signifie qu’un cycle de mildiou s’est fait, indique Anne Sandré, responsable du service viticulture à la chambre d’agriculture du Gard. La pression du mildiou est exceptionnelle dans notre département. Elle est bien supérieure à 2018, qui avait déjà été extrême. De mémoire de vigneron, c’est du jamais vu. Malgré cela, il ne faut pas faire de conclusions hâtives sur les variétés touchées. Dans d’autres secteurs, elles ont bien résisté. »
Loïc Breton, directeur de VCR France, le distributeur exclusif du cabernet volos en France, insiste sur la nécessité de protéger ces variétés. « La résistance totale n’existe pas, rappelle-t-il. En cas de très forte pression de mildiou, la résistance atteint ses limites. Il faut alors diminuer la puissance de l’inoculum en allant au-delà des deux traitements recommandés. »
Reste à savoir quelles sont les causes de ces attaques : contournement de la résistance par des souches disposant de cette faculté ou simple débordement lié à la pression de la maladie ? « Nous avons réalisé des prélèvements. Nous allons étudier les souches de mildiou qui s’y trouvent pour déterminer si certaines d’entre elles ont développé une stratégie de contournement. Les résultats de ces tests ne seront connus au plus tôt qu’en octobre. Nous étudierons aussi toutes les conditions spécifiques aux parcelles concernées pour comprendre ce qui a pu les mener hors du champ d’efficacité des résistances et en tirer des enseignements pour les prochaines campagnes », indique Rémy Cailliatte, coordinateur du déploiement des variétés résistantes à l’Inrae. Du pain sur la planche !
Selon un bilan établi le 12 juillet par les chambres d’agriculture des huit départements de l’arc méditerranéen, quatre variétés résistantes subissent des attaques de mildiou : Artaban (3 parcelles sur 26 observées) ; Vidoc (1 parcelle sur 24 observées) ; Cabernet volos (1 parcelle sur 3 observées) ; Sauvignon rytos (1 parcelle sur 2 observées). Ces parcelles sont majoritairement situées dans le Gard, quelques-unes sont dans la Drôme, les Bouches-du-Rhône et le Vaucluse. Les plus atteintes sont dans des situations très vigoureuses et des bas-fonds humides, avec une pression de mildiou très forte. Il semble qu’il n’y ait pas d’autres cas ailleurs. À l’Inrae, ni Laurent Delière, animateur du réseau Oscar de surveillance d’une centaine de parcelles plantées de vignes résistantes, ni Rémy Cailliatte, coordinateur du déploiement des variétés résistantes, n’ont connaissance d’autres cas d’attaques notables.