Lors de la période végétative, la détection de sporée est corrélée à l’apparition des symptômes, et ce jusqu’à 14 jours à l’avance, indique Benoît Laurent, ingénieur à l’IFV Bordeaux Nouvelle-Aquitaine. La mesure de l’inoculum du mildiou dans l’air complète les outils dont nous disposons pour évaluer le risque épidémique lié au mildiou que sont la modélisation du potentiel infectieux, le suivi de la germination des œufs d’hiver, du développement de la vigne et des symptômes sur le terrain. L’analyse de la sporée permet d’établir le risque avec plus de précision, d’enrichir l’aide à la décision pour traiter ou pas. »
C’est en 2019 que l’IFV a commencé à explorer l’intérêt de piéger les spores du mildiou dans l’air en vue d’améliorer le raisonnement des traitements. Plus de 70 vignobles de Nouvelle-Aquitaine sont équipés de capteurs observés par l’IFV. Une technologie dont des conseillers s’emparent pour proposer des offres intégrant l’analyse de la sporée.
« La sporée est une brique supplémentaire parmi d’autres (conditions climatiques, stade phénologique, observations sur la vigne, cépage, conduite en bio ou en conventionnel…). Elle nous permet de recalibrer les modèles car ceux-ci estiment le risque à l’échelle d’un département alors qu’on veut connaître le risque sur une parcelle donnée », explique Antonin Douillet. Cet ancien chercheur à l’IFV et l’Inrae a fait sa thèse sur l’étude de la sporée aérienne, avant de monter son entreprise Dac ADN avec son frère, pour développer des pièges et un modèle de prévision du risque.
Jérémie Brusini, un autre prestataire, a fondé la start-up Biology as a Solution (BaaS) qui propose elle aussi des pièges à spores et un modèle prédictif de la pression du mildiou. Mi-mars, il s’est fait remarquer en publiant un message alarmiste sur LinkedIn invitant les vignerons à faire attention à la forte pression en ce début de saison. « La sporée permet de déterminer le début probable de la contamination associée aux autres paramètres, comme les conditions météo et le stade phénologique », expose-t-il.
Cette nouvelle information permet-elle vraiment de réduire les traitements ? Oui, répond Benoît Laurent, y compris en 2023, année de forte pression du mildiou : « L’an dernier, la majorité de nos vignerons partenaires a supprimé les deux premiers passages en début de saison, et certains en ont évité jusqu’à six. Ils ont ainsi économisé des traitements sans perte de rendement. »
Château Palmer, à Margaux, et l’un de ces vignobles. « Nous avons deux pièges actifs et deux capteurs passifs, expose Federico Coltorti, assistant R & D. L’analyse de la sporée est très intéressante pour bien positionner les premiers traitements antimildiou. En 2022, nous avons pu économiser trois traitements en début de saison. En 2023, nous en avons supprimé six en ne débutant la protection que fin mai sur les parcelles suivies. Nous avons consommé 1 kg/ha de cuivre en moins par rapport au reste de notre vignoble. Par la suite, nous ne sommes pas parvenus à réduire les traitements car les conditions étaient très favorables au mildiou. »
Jérémie Brusini signale lui aussi des économies. Avec son entreprise, il a déployé des capteurs sur une vingtaine de domaines. « En 2023, dans un château à Pauillac avec lequel nous travaillons sur une parcelle test, nous avons pu retarder le début de la protection antimildiou de presque un mois. À la clé, 800 g de cuivre économisés par hectare », assure-t-il.
Si cette nouvelle donnée permet de mieux évaluer les risques, son interprétation et son intégration dans un OAD restent une affaire d’expert. Benoit Laurent explique « les vignerons que nous suivons renseignent sur une plateforme internet le stade phénologique, son mode de conduite (bio ou conventionnel) la présence ou non de symptômes, les conditions climatiques et le résultat de ses analyses de sporée aérienne Toutes ces données sont traitées par notre système pour faire des préconisations ».
Avec leur entreprise Dac ADN, Antonin Douillet et son frère veulent simplifier l’analyse pour leurs clients : « Nous développons des modèles afin de faciliter l’interprétation des données et prédigérer l’analyse. » Chez BaaS, Jérémie Brusini a le même objectif : « En 2023, beaucoup de nos clients n’avaient pas le temps d’interpréter nos graphiques prédictifs indiquant les risques de repiquage à venir. Cette saison, nous déployons une application plus intuitive présentant les risques à venir sous la forme d’un calendrier. C’est ensuite à nos clients de décider de traiter ou pas. »
Il n’existe pas de seuil de capture de spores au-delà duquel il faudrait traiter, et ce pour une raison simple. « En fait, nous ne mesurons pas directement la sporée. Nous quantifions l’ADN de mildiou présent dans l’air pour en déduire la sporée, souligne Benoît Laurent, chez l’IFV. Or, l’ADN ne renseigne pas sur le potentiel infectieux de l’inoculum car on peut très bien capter des oospores immatures mises en suspension dans l’air lors des travaux du sol. Nos mesures ne sont interprétables qu’au regard des autres indicateurs épidémiques. » Chez Baas, Jérémie Brusini se montre tout aussi prudent. « Il est compliqué d’indiquer un seuil en dessous duquel il n’y aurait aucun risque. Si les conditions climatiques et phénologiques sont favorables au mildiou, une faible quantité de spores dans l’air peut engendrer un risque : c’est pourquoi nous regardons la dynamique de la sporulation plutôt que son niveau pour identifier les risques infectieux. »