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Plaidoyer pour une vraie valorisation du bail rural
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Tribune
Plaidoyer pour une vraie valorisation du bail rural

Mettant les pieds dans le plat des non-dits sur le prix des baux ruraux dans le vignoble en particulier et l’agriculture en générale, Sylviane Jaccoux d'Eyssautier, présidente de l’association AgriPatrimoine, épingle dans cette tribune une fuite en avant défavorable aux fermiers et propriétaires. Car "comme toute situation juridiquement instable, elle sert surtout la mauvaise foi".
Par Sylviane Jaccoux d'Eyssautier (tribune) Le 07 avril 2024
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Plaidoyer pour une vraie valorisation du bail rural
« Le bail rural est le seul dont la présence dévalue un bien au lieu de le valoriser comme en matière commerciale ou industrielle » estime ​Sylviane Jaccoux d'Eyssautier. - crédit photo : DR
P

oser enfin la question de la valeur marchande du bail rural

Sa valorisation est interdite par le Code Rural, et sa pratique constitue un délit (Article L.411-74 du Code Rural). Pourtant elle se déduit non seulement des usages mais, légalement, de la décote qui est toujours affectée à la valeur d’un bien agricole quand il est loué.

L’agriculture n’est pas à une contradiction près. Ni rebutée par sa propre incapacité à trancher. Parmi les innombrables contradictions de la profession agricole et des agriculteurs dans leur ensemble :

1°- La profession se flatte de ce qu’en France le prix des terres soit demeuré à un niveau bas, du moins au regard des pays voisins, sans se demander comment ceux-ci s’en sortent.

2°- Un amalgame prégnant entre la valeur économique, la valeur affective et la valeur refuge des terres agricoles.

3°- La conséquence évidente de ces bas prix sur les risques « d’accaparement » des terres agricoles par les « financiers », obsession française comme si le Crédit Agricole et les Coopératives étaient des œuvres caritatives.

4°- S’opposant à l’accaparement des terres françaises par des capitaux étrangers, les mêmes ne sont pas perturbés quand il s’agit d’aller investir en Ukraine, en Pologne ou en Uruguay ! En ce compris par les placements insensés et ruineux du Crédit Agricole et de la Coopération financés par des ponctions sur les exploitations.

5°- Le bail rural est le seul dont la présence dévalue un bien au lieu de le valoriser comme en matière commerciale ou industrielle… Cette « décote » liée à l’existence du bail est pourtant unanimement reconnue… Tous les experts fonciers la constatent. Leur usage consiste à pratiquer une réfaction de 2 à 40 % de la valeur vénale, en fonction de la durée du bail qui reste à courir. Ce qui n’a du reste aucun sens puisque rien de permet d’avoir la certitude de ce que le bail prendra fin à son échéance conventionnelle. Et ce, même quand c’est le fermier qui préempte et conteste le prix de vente. C’est une contradiction frontale avec l’interdiction de valorisation du bail rural puisque la règle consiste justement à prendre en compte cette valeur. La profession agricole qui soutient cette décote, au prétexte « d’aider les fermiers », valide donc elle-même la valeur du bail.

6°- Cette même décote est également reconnue dans le cadre successoral puisque l’enfant héritier qui est titulaire d’un bail sur le bien se le voit attribuer en valeur libre, alors qu’un autre le prendra en valeur occupée. Ce, au titre de « l’installation professionnelle » qui est un avantage rapportable à la succession.

7°- Les instances syndicales des « fermiers » ne cessent de réclamer l’interdiction des « pas-de-porte »… Tout en revendiquant l’indemnisation du « préjudice » qui leur est causé en cas de reprise : il s’agit pourtant absolument du même support, la valeur économique d’un bail eu égard à ce qu’il est supposé rapporter…

8°- La différence est significative selon les régions : par exemple dans une large région Nord de la France, bailleurs et fermiers appartiennent aux mêmes milieux sociaux, et même souvent à la même famille, suite à partages. Dans d’autres régions, il existe deux catégories sociales parfois opposées.

Ceci étant posé, il serait bon de tenter de donner à tout cela un peu de cohérence et la valorisation du bail rural en semble une condition incontournable.

La pratique se complique sérieusement de cette lâcheté

La profession agricole s’est toujours fermement opposée à la valorisation du bail rural. Même si ses responsables la pratiquent en général avec vigueur. Cette position de principe a même fait pénaliser la cession marchande du bail, au nom de L.411-74 du Code Rural. Celui-ci stipule :

« Sera puni d’un emprisonnement de 2 ans et de 30.000 d’amende ou de l’une de ces deux peines seulement, tout bailleur, tout preneur sortant ou tout intermédiaire qui aura, directement ou indirectement, à l’occasion d’un changement d’exploitant, soit obtenu soit tenté d’obtenir, une remise d’argent ou de valeurs non justifiées, soit imposé ou tenter d’imposer la reprise de biens mobiliers à un prix ne correspondant pas à la valeur vénale de ceux-ci. »

Si on excepte l’aspect délictuel, ces dispositions sont simplement conformes au Code Civil. Soit la « répétition de l’indu ». En termes plus simples, du « trop payé » !

En aucun cas il ne stipule qu’un bail rural n’a pas de valeur.

C’est pourtant l’interprétation que la profession a réussi à imposer à toutes les juridictions.

Le résultat en est :

1°- Une impossibilité de financer correctement les installations et les reprises. Même si, il ne faut pas se le cacher, les banques et notamment le Crédit Agricole s’arrangent le plus souvent pour dissimuler cette « valeur du bail » sous un autre poste. Et une prime aux « gros » qui, eux, ont naturellement la trésorerie pour faire face à des versements en espèces.

2°- Un traitement inéquitable des exploitants puisqu’il est possible de valoriser le bail quand il est consenti à une société. Il n’y a en effet pas de « changement d’exploitant » lorsque l’on cède les parts sociales.

3°- Le prix de la cession du bail est déterminé de manière totalement opaque et représente non pas la valeur économique de ce droit à exploiter -comme pour tout contrat- mais au moins pour partie, la contrepartie du blocage du foncier par le statut du fermage.

Mécomptes pour les propriétaires mais aussi pour les exploitants, et dégâts pour la vie des familles

Comme toute situation juridiquement instable, elle sert surtout la mauvaise foi.

(1) - L’article 851 du Code Civil qui impose le rapport de ce qui a été employé pour l’établissement d’un héritier est donc applicable au bail rural. La valeur du bail -en l’occurrence la décote qui en résulte dans la mesure où le bail rural lui-même est interdit légalement de valorisation- est considérée comme un avantage successoral rapportable.  Cette décote est donc rapportable à la succession (pour restaurer l’égalité entre les héritiers donc) si bien qu’on évalue le bien libre quand il est attribué à un fermier également héritier réservataire, soit un enfant. Il ne faut pas se dissimuler que l’application de cette règle occasionne de grandes difficultés et de nombreuses décisions de justice. Une autre interprétation est que la qualité de fermier disparaît par confusion avec celle de bailleur.

Bien sûr, aucun rapport successoral n’est dû quand le bail a été consenti au conjoint de l’héritier et même au couple, ce qui est très souvent le cas. Cette solution est à l’évidence totalement inéquitable pour la vie de famille et en contradiction frontale avec l’interdiction de valorisation du bail rural. Il est malheureusement acquis que celui des enfants qui a été installé par un bail familial, dans beaucoup de cas, fera toutes les manipulations possibles pour s’en prévaloir et bloquer au maximum ou libérer à bas prix l’héritage de ses frères et sœurs. Où se situent la logique et l’équité ? Il suffit d’avoir son conjoint comme co-preneur -ce qui est le plus souvent le cas- pour rompre l’égalité familiale.

(2) - Cette manière de mettre le sujet « sous le tapis » et d’ignorer de la main droite ce que fait la main gauche risque de tuer toutes les meilleures initiatives de « portage du foncier ».

Une affaire significative résulte de l’idée lumineuse qu’a eue une banque constituant un G.F.A. dit « investisseur » il y a plus de 30 ans, d’instituer une majorité extraordinaire des ¾ des votes, ce qui est courant, mais de laisser 26,70 % des votes à l’associé titulaire du bail… Trente ans plus tard, cet associé et son épouse ont largement dépassé l’âge de la retraite -plus de 90 ans- n’ont jamais cédé officiellement à leurs enfants et font exploiter par une société dont ils n’ont plus la qualité d’associés-exploitants, ce qui évidemment doit entraîner la résiliation du bail. Résultat, alors que les autres associés veulent réaliser leur investissement, ils bloquent toute décision qui ne leur permettrait pas d’acheter les biens au ¼ de leur valeur. Et la justice -Cour d’Appel d’Amiens- bloque toute décision de la gérante qui ne serait pas validée par l’assemblée générale à plus des ¾ ! Même la résiliation du bail, ce qui est pourtant la base de la mission d’une gérance.

Heureusement des fermiers d’aussi mauvaise foi sont rares.

Mais les textes doivent maintenant permettre de faire face à ces tentatives ……Si le bail avait un prix, celui-ci viendrait tout naturellement se placer mathématiquement entre la valeur libre et la valeur occupée. Il n’y aurait donc aucun problème….

(3) - Ce refus de valoriser officiellement le bail rural est le seul motif qui permette aux S.A.F.E.R. d’encaisser des millions d’euros de commissions pour couvrir les cessions de parts de société dont la valorisation permet, elle, d’intégrer la valeur du bail sur des exploitations de plus de 1 000 ou 2 000 ha.

Cela renforce l’inégalité de traitement puisque le bail rural consenti à une société a beaucoup plus de valeur que le même bail consenti à un exploitant individuel : par les cessions de parts successives, la société est un fermier « éternel ».

(4) - Enfin ce qui est peut-être le plus grave, les dérives lors des procédures collectives affectant les exploitants. L‘article L.642-1 du Code de Commerce stipule : « lorsqu’un ensemble est essentiellement constitué du droit à un bail rural, le tribunal peut, sous réserve des droits à indemnité du preneur sortant et nonobstant les autres dispositions du statut du fermage, soit autoriser le bailleur, son conjoint ou l’un de ses descendants à reprendre le fonds pour l’exploiter, soit attribuer le bail rural à un autre preneur proposé par le bailleur ou, à défaut, à tout repreneur dont l’offre a été recueillie dans les conditions fixées aux articles L.642-2, L.642-4 et L.642-5. »

Faut-il en déduire que le Tribunal se voit autoriser par le Code de Commerce -et en contradiction manifeste avec le Code Rural- à tirer une contrepartie financière du changement d’exploitant. Cette démarche étant, à l’évidence, de l’intérêt des créanciers, cela le conduira-t-il à préférer un tiers au bailleur ?

Faut-il en déduire pour conserver sa priorité, il est impératif que le bailleur ait son propre projet « d’exploitation » ? Une décision du Tribunal de Grande Instance de Chartres avait fait grand bruit en son temps, autour de cette notion aux contours flous de dérogation à l’incessibilité du bail rural en cas de procédure collective. Ce Tribunal avait considéré que peu importait l’interdiction de valorisation du bail rural, il était de l’intérêt des créanciers que le mandataire le monnaie. (T.G.I. de Chartres – 22 mai 1991 *)

Dans ce cas, le maintien de la capacité de production indispensable en cas de plan de continuation ne peut être invoqué puisque la cession du bail ne s’attache pas à la viabilité de l’entreprise du repreneur qui n’est même pas invoquée. Seul donc le prix du bail, et donc sa valorisation sont en cause, ce que l’application de la loi par les tribunaux s’attache à camoufler.

Il est évident que l’intérêt des créanciers est de céder au meilleur prix possible alors que celui du repreneur est de s’endetter le moins possible.

De plus, la notion d’« ensemble …. essentiellement constitué du droit à un bail rural » se heurte à l’impossibilité de délimiter ce qu’est un « ensemble » en agriculture. Une entreprise agricole n’est un tout que parce qu’elle dépend d’un même exploitant -ce qui ne sera plus le cas, par définition- et le fond agricole n’existe pas de ce point de vue puisque, justement en raison de ce principe d’incessibilité et d’interdiction de valorisation, le bail rural n’entre pas dans la composition du « fond agricole.

Et le texte élude la situation de présence de plusieurs bailleurs (!).

Exemple le plus dramatique et lourd de conséquences si la Cour de Cassation devait valider :

Le Tribunal Paritaire et la Cour de Lyon ont déclaré opposable à la bailleresse une ordonnance du Juge Commissaire qui, dans le cadre de la liquidation judiciaire du fermier, a ordonné la cession, marchande qui plus est, du bail contre l’avis de cette bailleresse manifesté plusieurs fois. Elle n’était même pas partie à la procédure et la décision ne lui a jamais été signifiée. Or aucune décision judiciaire, même ayant force exécutoire, ne peut valider une opération constitutive d’un délit. Il s’agit en fait de trouver des fonds en cas de fermier titulaire d’un ou plusieurs baux dont la cession monnayée est de l’intérêt des créanciers.

Les règles impératives de priorité du bailleur sur le sort du bail sont alors peu ou pas appliquées -avec parfois pressions et menaces contre des bailleurs peu armés et vite « convaincus » de tout abandonner !

 

* : A la recherche d’un droit rural par Sylviane Jaccoux, R.D.R. Février 1992.

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Armand Le 08 avril 2024 à 12:08:36
Sauf erreur, aujourd'hui il y a le bail cessible, la reprise de fond est autorisée
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