Il faut que tout soit OK pour le 30 mars, voire avant. Le débourrement risque d’être précoce, déclare Pierrick Laroche, vigneron à Maligny, à la tête d’une Cuma de lutte antigel de Chablis (Yonne) qui possède cinq tours. Les salariés de notre Cuma et ceux de notre fournisseur ont commencé à réviser les tours, à vidanger les moteurs, à recharger les batteries et à les remettre en route. Les moteurs fonctionnent au gaz. Les cuves de gaz sont pleines depuis mai dernier : nous les approvisionnons en basse saison ».
A Quincy (Cher), « l’entretien des tours a été fait en février car nous voulons être prêts pour fin mars, indique Jean Tatin, vigneron et secrétaire de la Cuma des vignobles. Mais nous ne remplirons les réservoirs de fioul que juste avant la période à risque, à cause du risque de vol ».
A Chablis, c’est aussi au dernier moment que les vignerons replaceront les Thermoboosts au pied de leurs éoliennes RN7. « Beaucoup de membres de la Cuma enlèvent ces chaudières après le gel pour éviter qu’elles soient vandalisées », explique Pierrick Laroche.
Pour les installations d’aspersion, les révisions commencent dès la fin de la période gélive de l’année précédente. « Nous faisons un état des lieux à ce moment-là, expose Pierrick Laroche dont la Cuma gère un réseau d’aspersion sur 50 ha, en plus des cinq éoliennes. En cas de problème sur les canalisations souterraines, nous réalisons les travaux pendant l’hiver suivant. En février, nous passons à l’entretien et à la vidange de nos motopompes. Et vers le 15 mars, nous faisons un essai d’aspersion en conditions réelles pendant 1 h 30 à 2 h. Nous purgeons les canalisations, vérifions l’absence de fuites et le bon fonctionnement de tous les asperseurs ».
Pour les câbles chauffants, les choses sont plus simples. « Nous vérifions leur fonctionnement en mars en les allumant pendant une heure afin de voir, grâce à des voyants, si toutes les boucles sont opérationnelles », indique Gilles Di-Blas, vigneron avec son frère à Maligny et membre d’une Cuma qui protège 13 ha avec des câbles.
A l’approche du débourrement, les vignerons se penchent sur la météo. « Je suis les prévisions de Meteociel et de Météo 60, et je surveille les températures sèche et humide qu’indiquent nos stations Weenat », indique Olivier Bellanger, vigneron à Monthou-sur-Cher, lui aussi membre d’une Cuma de lutte contre le gel.
Lors des nuits où la température chute dangereusement, « le démarrage des tours est automatique lorsque la température descend sous +2°C. Chaque tour envoie un signal sur l’appli que chaque adhérent a téléchargée », précise Pierrick Laroche. Partout ailleurs, les vignerons sont encore plus sur leurs gardes pour déclencher eux-mêmes leurs dispositifs de lutte.
A la Cuma de Charly-sur-Marne (Aisne) qui protège 60 ha par aspersion, c’est tout une organisation qui se met en branle. « Dès que la température descend en-dessous de 3° C, les sondes connectées sur nos équipements d’aspersion envoient une alerte sur les téléphones de deux adhérents, explique Bernard Naudé, l’un de membres de cette Cuma. Ceux-ci décident alors d’envoyer ou pas deux binômes pour aller relever les températures dans les vignes. Si la température descend encore, l’équipe chargée des motopompes les fait chauffer, sans envoyer d’eau. Les équipes thermomètres refont leurs rondes dans les vignes. S’ils prennent la décision de déclencher l’aspersion, tous les adhérents sont avertis. Nous procédons ainsi depuis le début, en 1992 ».
A Maligny, le démarrage de l’aspersion n’est pas non plus automatique. « Nos sondes de température sont réglées pour donner l'alerte dès 0,5°C de température humide, explique Pierrick Laroche. Après avoir reçu ces alertes, nous nous concertons et décidons à la majorité des adhérents de mettre l'asperion en route ».
Lors de ces nuits de gel, à Quincy « on est tous debout, même s’il y a des tours de garde », souligne Jean Tatin. Dans la Cuma de Gilles Di-Blas, « il n’y a pas d’astreinte. En cas d’alerte, nous sommes tous sur le qui-vive. Nous démarrons le réseau de câbles chauffants dès que la température tombe à 2°C, car il faut du temps pour qu’ils réchauffent la sève. Mais leur allumage ne nécessite qu’une ou deux personnes ».
Après toutes ces années de combats contre le gel, ces vignerons restent humbles face à ces épisodes où tout peut basculer très vite. « Nous avons appris qu’il faut tout anticiper et se tenir prêts » , souligne Gilles Di-Blas. « Nous savons qu’il ne faut pas déclencher trop tard l’aspersion. Mais nous ne constatons qu’après coup si on a bien ou mal fait », commente Benoit Naudé.
« Lors des nuits de gel, il y a beaucoup d’échanges entre nous, et de l’adrénaline aussi car il y a souvent des problèmes mécaniques », confie Jean Tatin. « Une nuit, une de nos tours a pris feu, on ne sait pas bien pourquoi, des vignerons se sont sentis visés », raconte un vigneron. Pierrick Laroche évoque les moments de convivialité, « le coup de ratafia partagé à 6 h du matin par exemple. Face au gel, on travaille tous les uns pour les autres ». Oliver Bellanger se souvient de l’année où il a trouvé de la paille et du foin chez un agriculteur pour faire des feux. « Le transport et la mise en place des bottes dans les vignes, ça a été un chantier collectif et fédérateur, dit-il. On a brûlé beaucoup de foin et de paille. Après cela, on a décidé de s’équiper en éoliennes, en Cuma. Les nuits de gel, la plupart d’entre nous circulent dans les parcelles. On s’appelle pour se tenir au courant. Seuls quelques-uns se lèvent tard, quand c’est l’heure éteindre les tours…