n février 2023, lorsque Nicolas Isnard, propriétaire du domaine de la Bastide Sampeyre, à Mazan, dans le Vaucluse, se retrouve à devoir arracher 50 ares de mourvèdre à la suite d’une attaque de flavescence dorée, il s’interroge sur le devenir de tous ces ceps. « Les brûler n’était pas pour moi une option, pour des raisons écologiques, affirme-t-il. Il fut un temps où mon père mettait les souches fraîchement arrachées en libre-service sur le bord de la route et les particuliers se servaient. Mais là, je souhaitais vraiment réfléchir à une démarche de valorisation ».
Le vigneron met donc en place, avec la chambre d’agriculture du Vaucluse, un projet de broyage des souches, à la parcelle, avec un retour immédiat au sol. « L’idée était d’utiliser ces souches comme source de carbone pour le sol. On a donc entièrement désinstallé la vigne, retiré fils et piquets, puis un prestataire est venu avec un broyeur de pierre pour broyer sur 25 cm de profondeur toutes les souches mortes. Le broyage a été effectué en deux temps : un premier passage pour broyer la partie aérienne des ceps, puis un deuxième afin de détruire le pied jusqu’à la racine. »
Nicolas Isnard n’est pas mécontent du résultat de ce premier essai. « En plus d’apporter au sol de la biomasse, l’arrachage s’est révélé moins fastidieux que d’habitude. Pas besoin de dessoucher et de ramasser à la main toutes les racines pour les sortir de la parcelle, on a mis dix fois moins de temps. En contrepartie, ça nous a coûté deux fois plus cher à l’hectare, ce n’est pas négligeable. Si c’était à refaire, je ferais différemment. Les mourvèdres sont plantés sur un sol argilo-limono-sableux. Or le sable limite la descente du broyeur de pierre. Toutes les racines n’ont donc pas été bien broyées, on en retrouve encore beaucoup dans le sol. Le mieux serait de dessoucher d’abord, puis de passer un broyeur forestier pour travailler en surface et non en profondeur », assure-t-il.
À Preignac, en Gironde, cela fait deux ans que le Château Suduiraut et son chef de culture adjoint, Christophe Navarro, ont mis en place un partenariat avec la société Vinea Énergie en vue de recycler les souches issues d’arrachage.
« Après avoir démonté le palissage et taillé à mort les pieds, de sorte qu’il ne reste plus que les troncs, un prestataire vient extraire les souches avec sa pelle, les regroupe sur un chemin ou un endroit facilement accessible en camion puis Vinea Énergie vient les chercher. La collecte coûte 12 €/m3, dès lors que l’on a retiré en amont piquets, fils, et plastiques durs. Autrement, il faut compter 9 €/m3 supplémentaires pour le tri ».
Par la suite, les souches collectées sont transférées vers l’une des trois plateformes de recyclage girondines de Vinea Énergie, transformées en plaquettes et revendues en vrac comme bois de chauffe à des industriels ou des collectivités. Christophe Navarro avoue que donner une seconde vie aux souches arrachées à un coût – 1 500 €/ha – mais selon lui, il vaut mieux les valoriser que de les brûler.
En Champagne, où le brûlage des souches est strictement interdit, Pierre Trichet, vigneron à Trois-Puits, dans la Marne, a décidé de collaborer avec Alexandre Henin, dirigeant de la société Ecocep, à Verzenay. Ils ont développé un coffret pour bouteilles de vin fabriqué dans un matériau à base de ceps de vignes compressés. Émeline Cordy, responsable marketing du domaine, explique que « l’idée est née il y a trois ans. D’un côté, Alexandre Henin cherchait un moyen, autre que le bois de chauffage, de valoriser les souches qu’il récoltait chez les vignerons, et de l’autre, Pierre Trichet était à l’affût d’un packaging original et écoresponsable pour une nouvelle cuvée. Aujourd’hui, c’est la société Full Pack qui produit et vend ces coffrets, au tarif de 20 euros pièce ».
Cela fait plus d’une dizaine d’années que la société Ecocep valorise les souches arrachées sur des parcelles champenoises, principalement en bois de chauffage. « La collecte est effectuée sur la commune de Bouzy. Cela coûte 25 €/t, en échange de quoi je fournis au vigneron une attestation de valorisation », explique Alexandre Henin. Bois de chauffage, emballage ou retour au sol, donner une seconde vie aux souches arrachées est possible. À un certain prix.
« Lorsqu’un vigneron valorise ses souches pour en faire du bois de chauffage, il contribue à réduire les émissions de CO2 et se retrouve avec un bonus carbone qu’il peut revendre », explique Alice Shaw, dirigeante de la société Vinea Énergie. Depuis octobre 2023, l’entreprise propose aux vignerons de valoriser leurs crédits carbone via la plateforme de contribution Carbonapp. « Cela peut couvrir jusqu’à 90 % des frais de collecte des ceps », assure Alice Shaw. Christophe Navarro, chef de culture adjoint du Château Suduiraut, espère bien en bénéficier afin de financer une partie des arrachages qu’il a réalisés cet hiver. « En collectant 480 m3 de souches, on a évité le rejet de 86,24 t de C02, explique-t-il. Vinea Énergie s’est occupé de monter un dossier auprès de Carbonapp pour générer les crédits carbone correspondants. Une fois qu’elle les aura revendus à une entreprise polluante, Carbonapp doit nous reverser l’argent dans un délai de 6 à 12 mois. On espère récupérer au moins 80 % du coût de la collecte. Pour le moment [début janvier, ndlr], nous ne connaissons pas la valorisation de nos crédits et nous sommes toujours en attente de leur versement. »