es exosquelettes font leur entrée dans les domaines viticoles. Mais attention au fantasme de l’outil miracle ! Dans le cadre d’un projet mené par l’Aract (Association régionale pour l’amélioration des conditions de travail) Nouvelle Aquitaine et la MSA 33, plusieurs viticulteurs sont venus témoigner de leur expérience en la matière, au Lycée agroviticole de Blanquefort (33) mi-novembre.
Premier constat dressé lors de cette journée : souvent les décisions d’achat sont prises trop rapidement. « On s’est rendu compte que les viticulteurs achètent après un test rapide, même pas forcément dans les vignes et que peu de temps après, l’exosquelette finit au placard ! », a rapporté Sophie Chaudron, chargée de mission à l’Aract Nouvelle Aquitaine.
David Marc, assistant maitre de chai au Château D’Yquem, 103 ha en production à Sauternes, est venu confirmer cette observation. « En juin 2022, on nous a présenté un exosquelette de la marque Corfor, moins cher que les autres, a-t-il rapporté. Il est utile en manutention ou au chai. Mais on ne pouvait pas l’utiliser en short dans les vignes à cause des frottements derrière les genoux. Pas pratique durant la belle saison ! »
Autre constat : le réglage de l’exosquelette est essentiel. Valérie Latestere, salariée vigneronne au Château d’Yquem souffrant des cervicales et du dos confie en souriant : « Au début je n’ai pas aimé utiliser mon exosquelette (LiftSuit2), je le trouvais inconfortable. Maintenant que j’ai appris à le régler, vous ne me le ferez plus retirer pour travailler ! »
Mais tous les utilisateurs ne sont pas subjugués comme Valérie Latestere ! Son expérience tranche avec celle de Paul Verdier, salarié vigneron au Château Lafite Rothschild, 112 ha à Pauillac : « Comme beaucoup de mes collègues, je souffre du dos, dit-il. J’ai essayé le chariot, la ceinture lombaire et l’exosquelette. Celui-ci passe en dernier. J’ai éprouvé moins de soulagement qu’avec les deux autres solutions associées à mes exercices d’échauffement quotidiens. »
Ce domaine a déjà 6 exosquelettes LiftSuit 2. Cependant, Eloïse Grand, technicienne Qualité, Hygiène, Sécurité, Environnement du Château nuance : « L’exosquelette ne fait pas tout. Il faut faire de la prévention sur les postures au travail. Il faut aussi s’échauffer. Chez nous, nous réservons 10 minutes d’échauffement sur le temps de travail avant la prise de poste. »
Par la suite, la technicienne a mis un autre sujet en lumière : « L’introduction des exosquelettes a permis de prendre conscience de la pénibilité au travail et de sortir de la culture du mutisme au sujet de la douleur qui règne dans nos métiers ».
Reste la question du coût de ces équipements. « Nous avons mis les six Liftsuit 2 en test pendant les vendanges cette année et lors de la taille l’hiver dernier, poursuit Eloïse Grand. Nous nous posons encore la question de savoir s’il s’agit d’un outil collectif qui peut être porté par plusieurs salariés ou d’un outil individuel. Selon la réponse que nous donnerons, le coût ne sera pas le même car nous avons 60 salariés vignerons ! »
Pour Gaëlle Léonard, responsable santé sécurité et conditions de travail pour le Château Latour, 95 ha à Pauillac, la mise en place des exosquelettes doit être le résultat d’une démarche collective. « Nous travaillons avec des collaborateurs fidèles mais vieillissants, certains ont des restrictions médicales, indique-t-elle. Nous cherchons à trouver des solutions pour les maintenir à l’emploi. Nous voulons également savoir si nous pouvions prévenir de futurs Troubles Musculosquelettiques (TMS) »
Face aux réticences de certains salariés à tester des exosquelettes, le château Latour est passé par le volontariat. « Onze salariés travaillant dans les vignes ont testé différents matériels durant 2 jours à chaque fois. Après ces essais, notre choix s’est porté sur 2 modèles : l’Exoviti et le LiftSuit 2 d’Auxivo. Les fournisseurs sont ensuite venus pour former les vignerons aux réglages. »
Ces témoignages et interventions, nous ont appris une chose : les exosquelettes ne dispensent pas de repenser l’organisation de travail pour réduire la pénibilité dans les vignes ou dans les chais. Certaines exploitations mettent en place des rotations de tâches, quand d’autres misent sur les échauffements avant les prises de poste.
Au Château d’Yquem, par exemple, un professeur de sport vient toutes les semaines pour donner des cours de renforcement musculaire et pour réviser la posture des salariés qui le désirent. Pour pousser jusqu’au bout l’expérience, le Château assurera avec la médecine du travail un suivi des salariés qui le souhaitent afin qu’ils fassent remonter les difficultés liées au port des exosquelettes.
Prudence lors de l’utilisation d’exosquelette : il faut faire attention aux frottements pouvant créer inconfort et irritation de la peau. Prenez garde à ne pas déplacer une pathologie vers une autre : le poids des exosquelettes et la gêne associée à son port peuvent conduire à une augmentation des sollicitations cardiovasculaires. Par ailleurs du fait de la modification de la perception des mouvements, il existe un risque de déséquilibre de l'utilisateur. Vigilance enfin sur la tentation d’augmenter la productivité au prétexte que l’on souffre moins lorsqu’on porte un exosquelette.