Aucun arrêt de travail depuis trois ans ». André Guinhut, propriétaire du domaine de la Forge, dans le Maine-et-Loire, est serein. Depuis qu’il a mis en place une séance de réveil musculaire préalable à la taille pour ses trois salariés permanents et les quinze saisonniers qu’il embauche, ceux-ci se blessent beaucoup moins. « Au départ, quand j’ai lancé l’idée, tout le monde était un peu réticent, indique-t-il. Finalement, ils ont vu les résultats : celui qui souffrait de problèmes d’épaule n’a quasiment plus de douleurs, celui qui s’est fait opérer d’une ostéochondrite peut continuer à tailler, et tout le monde a moins mal au dos à la fin de la journée. Échauffements et étirements sont bénéfiques, ça ne fait aucun doute. »
André Guinhut a mis son programme au point en collaboration avec Victor Gascoin, ostéopathe à Angers. « Chaque matin, avant de partir aux vignes, on se réunit et on fait dix minutes d’exercices, indique-t-il. Comme les sportifs, on s’échauffe de la tête aux pieds, puis on s’étire pour assouplir les muscles et les articulations. On se retrouve au vestiaire pour faire ces exercices. C’est devenu un moment convivial et d’échange. Après, on boit un café et on part aux vignes. Ça favorise la cohésion d’équipe et le soir, on a nettement moins mal aux épaules et dans les cuisses. On taille à 1,10 mètre de hauteur, dans une position légèrement penchée. Les gestes sont répétitifs, donc les muscles des membres et les articulations sont forcément très sollicités. »
Gérant du domaine Montbarbon, à Viré, en Bourgogne, Jean-Jacques Féral est parvenu, non sans difficulté, à instaurer une routine d’échauffements pendant toute la période de la taille. « Au début, tout le monde rigolait, personne ne prenait les exercices au sérieux, rapporte-t-il. Mais au même titre que nous rappelons, en début de saison, les règles de sécurité du maniement du sécateur électrique, nous évoquons aussi l’importance de s’échauffer et de s’étirer avant de partir tailler. Tailler, c’est un travail répétitif, usant, qu’on réalise dans des conditions météorologiques parfois rudes. Il faut se mettre en condition d’y aller. »
C’est sur les conseils de la MSA de Bourgogne, et avec l’aide d’un kinésithérapeute, que Jean-Jacques Féral a mis en place son protocole d’échauffements et d’étirements. « Ça dure cinq à dix minutes, indique-t-il. On commence par échauffer les cervicales, les épaules, les poignets, les doigts, les hanches et les genoux. Puis on fait quelques étirements pour assouplir les articulations. Et pour ceux qui souhaitent faire davantage d’exercices, des fiches conseils sont leur disposition dans un classeur, au vestiaire. »
Au Château du Cléray, à Vallet, cela fait un an déjà que la responsable vignoble, Jennifer Poirier, s’y est mise avec ses cinq salariés. « On se réunit au vestiaire, pour faire les exercices à l’abri des courants d’air, et tous ensemble, c’est plus motivant, explique-t-elle. Dans les vignes, avec le froid et les vêtements de pluie, ce n’est pas toujours pratique. »
Et avec la viticultrice, les exercices, c’est trois fois par jour. « Cinq minutes d’échauffement le matin avant de partir, cinq minutes le midi après la pause déjeuner, et cinq minutes d’étirements à la fin de la journée, avant de rentrer chez soi, détaille-t-elle. Les équipes en ont tout de suite ressenti les bienfaits, surtout en période de froid. S’échauffer peut éviter une tendinite au poignet, une blessure à l’épaule, ou une foulure à la cheville. »
Propriétaire du domaine de la Lande, à Monbazillac, et ancien sportif, Fabrice Camus embauche deux saisonniers pour l’aider à tailler, tirer les bois et attacher ses 12 hectares de vigne. Lui aussi leur propose une séance d’étirements en milieu de matinée et en fin de journée. « Ça prend cinq minutes, et ça soulage le haut du corps et le dos, assure-t-il. À la fin de la journée, on a beaucoup moins mal dans les lombaires. Le lendemain matin, c’est plus facile de repartir tailler. »
Fabrice Camus a eu la chance de participer une formation de la MSA de Dordogne et du Lot-et-Garonne, en 2020. « Depuis, je propose à mes saisonniers de s’échauffer tous les matins avant de partir tailler, relate-t-il. Ça évite de rentrer à froid dans la vigne et de se blesser bêtement. »
Laurence Vaillant, associée du domaine Les Grandes Vignes, à Belleville-en-Layon, est elle aussi convaincue des bienfaits de l’échauffement. « Pas seulement pour la taille, mais aussi pour l’ébourgeonnage et la vendange », avance-t-elle. Et de rappeler : « À la vendange, il faut s’agenouiller, s’accroupir, marcher sur un sol cabossé, donc il est primordial d’échauffer et d’étirer en priorité le bas du corps afin d’éviter de se bloquer le dos ou de se fouler la cheville. » Que du bon sens.
Une trentaine de vidéos de quelques secondes, montrant des exercices d’échauffement ou d’étirement : voilà ce que propose l’application Mouv’s Agri développée par quatre MSA du sud de la France, laissant à l’utilisateur le soin de choisir les exercices qu’il souhaite réaliser. Ces vidéos ont été tournées aux Vignobles Mousset-Barrot, à Châteauneuf-du-Pape. « Pendant trois ans, un coach sportif est venu trois fois par semaine pour concevoir et enseigner des exercices à nos 14 salariés, indique Frédéric Maillet, le directeur. Aujourd’hui, ils sont autonomes dans leurs échauffements et étirements. » Aux vidéos destinées aux tailleurs s’en sont ajoutées d’autres spécifiques pour les arboriculteurs, les maraîchers ou encore les éleveurs. Claude Rozet, conseiller en prévention à la MSA Alpes-Vaucluse, comptabilise au total, en trois ans, un peu plus de 3 000 téléchargements de l’application.