n Charente-Maritime, Daniel Bouillard tient des comptes précis de ses coûts de production. Si bien qu’il sait presque à l’euro près ce que lui coûtent ses couverts temporaires. « Dans l’implantation des couverts, ce sont les semences qui reviennent le plus cher, relève le propriétaire du domaine du Puits Faucon, à Burie. Quand je me suis lancé en 2016, je me suis appuyé sur l’expérience des pionniers et j’ai évité les mélanges du commerce, souvent très coûteux. J’ai opté pour deux espèces complémentaires, la féverole et l’avoine. J’achète des graines destinées à l’alimentation animale, de cette manière, je n’en ai que pour 46 €/ha. Ce ne sont pas des semences certifiées mais j’obtiens malgré tout une bonne biomasse. »
Sur ses 43 ha, Daniel Bouillard implante des couverts un rang sur deux, l’autre étant enherbé naturellement. Pour semer deux espèces en même temps, il utilise un semoir à céréales attelé à l’arrière, acheté 250 € d’occasion, et un semoir électrique Delimbe à l’avant, qu’il a acheté neuf pour 1 500 €. Son foncier étant dispersé, il compte 45 min/ha, déplacements compris, pour semer ses couverts. « Cela représente 20 €/ha de main-d’œuvre et 35 €/ha de frais de mécanisation, ce qui porte le total des frais de semis à 102 €/ha, indique le vigneron. C’est un coût qui reste modéré. J’investis surtout du temps, en consacrant une semaine à ce chantier avant les vendanges. »
Il détruit ses couverts début avril avec un gyrobroyeur, puis enfouit ce mulch avec deux passages de disques en juillet et en août, qui servent en même temps à préparer le sol pour le semis du couvert suivant. « Ces trois passages ne constituent pas une augmentation du total de mes frais. Si je n’avais pas de couverts, je devrais faire au moins cinq à six passages pour désherber mécaniquement l’interrang », estime-t-il.
Semés tôt, ses couverts ont le temps de pousser suffisamment avant d’être broyés. En fonction des années, ils restituent entre 30 et 50 U d’azote. « Je réduis d’autant les apports d’engrais, tout en maintenant la vigueur et le rendement, qui est en moyenne de 120 hl/ha », précise-t-il.
À Aubord, dans le Gard, Sylvain Verdier a lui aussi réduit le coût en semences de ses couverts temporaires. Son neveu et lui cultivent 38 ha de vignes en conventionnel et 30 ha en bio, et implantent des couverts sur l’ensemble de ces surfaces. Ils achètent des semences fermières en direct sur Le Bon Coin, qu’ils mélangent eux-mêmes.
« Je prends les espèces que je trouve. Pour les semis de 2023, j’ai acheté 1 700 kg de seigle, sarrasin, moutarde, fèverole, phacélie et radis chinois, à un prix moyen de 0,60 €/kg. » En comptant une dose de 25 kg/ha pour semer un rang sur deux, le coût de revient est de seulement 15 €/ha, et monte à 18 €/ha si l’on ajoute le déplacement pour aller chercher les semences dans l’Aveyron.
Le viticulteur affine et nivelle le sol en juillet, à l’aide d’un cultivateur, puis sème mi-septembre en utilisant un semoir direct Simtech acheté avec un autre vigneron pour 3 800 € chacun, aides déduites. Équipé de dents ouvreuses et d’une herse à chaînes, l’outil implante le mélange de façon très régulière. « À 7 km/h, il nous faut une semaine pour tout semer », complète le vigneron.
Sylvain Verdier détruit le couvert en mars, afin d’éviter toute concurrence. « En 2019, j’ai attendu plus longtemps et perdu du rendement », se rappelle-t-il. À ce moment, les couverts mesurent déjà un mètre de haut. Deux roulages, qui prennent deux jours chacun, sont nécessaires pour les détruire sur les 68 ha.
« Au stade petits pois de la vigne, la chambre d’agriculture a mesuré qu’il y avait dans les interrangs dotés de couverts 30 U/ha d’azote en plus par rapport à ceux travaillés », souligne le vigneron. Cet apport est bienvenu pour soutenir la vigueur. « Nos vignes en conventionnel se trouvent en zone vulnérable où nous ne pouvons pas apporter plus de 50 U d’azote, détaille-t-il. Grâce à ces couverts, nous y obtenons malgré tout des rendements de 80 à 100 hl/ha. » En bio, hors zone vulnérable, il amène 60 U d’azote organique si bien qu’avec les couverts, il parvient à produire 70 à 80 hl/ha.
Au domaine Carcenac, à Montans, dans le Tarn, Geoffrey Gabaston engage des frais bien plus importants que ses confrères. Mais il s’y retrouve. Ce second d’exploitation sème des couverts un rang sur deux sur 60 ha. Les 30 ha restants portent un enherbement naturel. Il change d’espèces chaque année afin d’éviter l’installation de maladies. « En 2020, il y en a eu sur la fèverole et la biomasse a chuté », note-t-il.
Pour les semis 2023, il a acheté de la vesce destinée à l’alimentation animale et des semences certifiées de seigle forestier pour un coût de 75 €/ha. « On ne trouve pas de seigle forestier autrement, souligne-t-il. C’est plus cher mais cela vaut le coup car il apporte une belle biomasse. »
Mi-octobre, après les vendanges, il épand 5 t/ha de déchets verts broyés, légèrement compostés, qu’il enfouit sur 5 cm à l’aide de disques afin d’augmenter le taux de matière organique. Cela prépare le sol pour le semis qu’il réalise dans la foulée, avec un semoir électrique APV à l’avant et un rouleau denté à l’arrière de façon à enfouir les graines. « Le semoir coûte 3 000 €. À 9 km/h, il faut compter trois à quatre jours pour semer 60 ha », précise-t-il. Le rouleau Roll’N’Sem vaut 6 500 €, et sert également à rouler les enherbements naturels.
Après avoir, durant trois ans, broyé ses couverts début avril, Geoffrey Gabaston a choisi de les faucher en déportant l’herbe sur le rang afin d’installer un mulch au pied des ceps, dans le but d’étouffer les adventices. « J’ai adapté une vieille faucheuse de montagne que j’ai achetée 400 € », indique-t-il. Avec cet outil monté à l’avant, la fauche lui prend 50 min/ha.
Geoffrey Gabaston estime le coût global de ses couverts à 150 €/ha et celui des apports de déchets verts à 150 €/ha aussi. En complément, il amène 30 U d’azote grâce à un engrais minéral dosé à 12-5-15, afin de stimuler la décomposition des déchets verts. Ce dernier lui revient à 220 €/ha.
« En quelques années, les ceps ont regagné de la vigueur et les rendements ont progressé d’au moins 10 hl/ha, ce qui couvre les frais engagés. Les couverts contribuent à cette évolution. Nous allons continuer à en semer afin d’améliorer encore la vie du sol et la matière organique avec l’objectif, à terme, de devenir autonomes pour la fertilisation. »
Au-delà de l’apport d’azote, les couverts rendent bien d’autres services. « Ils améliorent la vie du sol, le taux de matière organique et la réserve utile en eau, estime Daniel Bouillard, du domaine Puits Faucon, en Charente-Maritime. Ils réduisent les fuites d’azote dans la nappe et favorisent la présence des auxiliaires. Même si ces bénéfices sont difficiles à chiffrer, si on les considère, il est certain que les couverts rapportent bien plus qu’ils ne coûtent. » Au domaine Carcenac, dans le Tarn, Geoffrey Gabaston confirme que son sol fonctionne mieux depuis qu’il sème des couverts. « Les vignes résistent mieux à la sécheresse, et il y a moins de blocages de maturité. » Afin d’évaluer l’ensemble des bénéfices de l’introduction des couverts, la chambre d’agriculture de Gironde travaille sur un nouvel outil, Idefics, destiné à mesurer son impact économique, social et environnemental, jusqu’à estimer les quantités de carbone stocké dans le sol.