Goult dans le Vaucluse, Bruno Mille a implanté ses premiers couverts en 2021 sur 10 de ses 23 ha. « Fin mars, ils étaient déjà à 60 cm de haut. Comme la météo annonçait du gel, je les ai gyrobroyés. Mais les céréales du mélange ont repoussé. Pour finir de les détruire, j'ai dû repasser deux fois le gyrobroyeur en mai et juin », indique-t-il.
Dans deux parcelles - une de caladoc et une autre de grenache - ce couvert mal détruit a provoqué une concurrence hydrique. « Les jeunes rameaux, peu vigoureux, ont rapidement arrêté de pousser, rapporte Bruno Mille. Dans le caladoc qui est irrigué, j'ai rattrapé la situation ; le rendement n'a que légèrement fléchi. Dans le grenache, qui n'est pas irrigué, j'ai perdu 20 hl/ha ».
Fort de cette expérience, l'année suivante il a détruit ses couverts d'un coup avec un outil à disques. « Au début du printemps, il y a eu quelques pluies, détaille-t-il. J'ai pu laisser les couverts jusqu'à début mai. Dans les deux parcelles où j'avais eu des problèmes l'année précédente, la vigne a bien poussé et j'ai atteint mon objectif de 80 hl/ha ».
Cette année, Bruno Mille va à nouveau détruire ses couverts avec des disques. Et pour prendre encore moins de risques, il n'en a semé que dans les parcelles irriguées. « Je pourrai ainsi arroser si nécessaire pour compenser ».
Au domaine des Maëls, Frédéric Schwertz a lui aussi recalé ses pratiques pour éviter la concurrence des couverts. Lui et sa femme Morgane cultivent 15 ha en bio à Argens-Minervois dans l'Aude, et font appel à des agronomes pour suivre les besoins en eau de la vigne et réaliser des analyses de pétiole. Dans ces analyses, pratiquées à partir de mai, il a observé plusieurs années un déficit d'azote après la destruction des couverts, ce qui l'obligeait à corriger avec des engrais foliaires. « En 2020, j'ai fini par décider d'avancer cette destruction d'un mois, d'avril à mars, pour limiter la concurrence azotée », note Frédéric Schwertz.
L'année suivante il a revu le mode de destruction, qui se faisait jusqu'à présent par roulage. « En mars, les céréales du mélange n'étaient pas encore à épiaison et se sont redressées après le passage du rolofaca. Grâce au suivi hydrique, j'ai repéré une concurrence en eau. En juin, j'ai fini de détruire le couvert avec des disques, ce qui a réglé le problème ».
Puis à l'automne, il a supprimé les céréales de son mélange. Au printemps 2022, il a détruit ses couverts d'emblée avec son pulvérisateur à disque. Exit le roulage. A l'automne dernier, nouveau changement. « J'ai semé un couvert seulement un rang sur deux. Et comme j'avais vu qu'ils étaient bien détruits par l'outil à disque, j'ai réintroduit du seigle et de l'avoine afin de mieux ameublir le sol et d'avoir un mulch épais l'été ».
Même en Champagne, région pourtant plus arrosée que le Languedoc, les vignes peuvent souffrir de la concurrence de couverts trop développés. Baptiste et Gaël Dekeyne en ont fait l'expérience. Ces deux frères produisent du champagne en bio sur 5 ha à Bethon, dans la Marne.
« Quand nous avons démarré les couverts temporaires en 2016, nous avons attendu juin pour les rouler, afin de les laisser monter à graine et se resemer naturellement, raconte Baptiste. Ce n'était pas une bonne idée : ils ont pompé de l'eau et de l'azote dans le sol avant la floraison, ce qui a provoqué de la coulure sur nos chardonnays comme sur nos pinots. Heureusement nous avons réussi à rattraper la situation avec des engrais foliaires pour obtenir un rendement de 10 000 à 12 000 kg/ha ».
En 2017, après avoir à nouveau observé de la coulure, les deux frères ont conclu qu'elle était due à la concurrence des couverts plutôt qu'au climat. « L'année suivante, nous les avons détruits un mois plus tôt, en mai, dès l'étalement de la 8ème feuille. C'est à ce stade que la vigne commence à pomper intensivement dans le sol », note Baptiste.
Le roulage reste efficace, car en mai les tiges du couvert sont déjà bien lignifiées. « Pour faciliter sa décomposition, nous encadrons sa destruction par des applications d'extraits fermentés de consoude, qui stimulent également la vigne », précise-t-il. Après roulage, les légumineuses et les crucifères disparaissent en quelques semaines, les céréales en deux mois. « Depuis que nous roulons plus tôt, nous n'observons plus de concurrence, même dans une année sèche comme 2022. Et nos vignes ont retrouvé leur vigueur, avec une surface foliaire développée et de beaux bois », assure Baptiste.
En 2022, le Biocivam de l'Aude a comparé trois modes de destruction des couverts -tonte, roulage et enfouissement par des disques- réalisés à deux dates, avril et mai. Il a testé ces six modalités dans trois parcelles, dont une au domaine des Maëls. « Avec l’enfouissement précoce avec des disques, la contrainte hydrique est restée proche de celle du témoin au sol travaillé. A l'inverse, le roulage tardif et le passage de disques tardif, eux, ont accéléré l'arrêt de croissance des apex et réduit la surface foliaire », note Anaïs Berneau, qui a mené ces essais. Dans la parcelle du domaine des Maëls, le rendement moyen par cep a atteint 3,4 kg dans le témoin, 3,3 kg avec le passage de disques précoce et 2,6 kg, le niveau le plus bas, avec le roulage quelle que soit la date de l’intervention. Ce rendement n'a pas pu être mesuré pour la modalité tondue. « Mais il y avait nettement moins de surface foliaire. Et à la taille, les bois étaient bien plus petits », note Frédéric Schwertz, qui a décidé de ne plus de tondre ces inter-rangs en 2023 au vu des résultats négatifs sur la vigne.