Bordeaux, la campagne d’arrachage « sanitaire » est lancée. Le 5 juin, le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau s’est rendu à Sallebœuf, chez Régis Falxa, président des vignerons indépendants de Gironde, pour signer une convention tripartite. Dans l’affaire, l’Etat apporte 30 millions d'euros, la région Nouvelle-Aquitaine 10 M€ et l’interprofession des vins de Bordeaux 19 M€, dans le but d'arracher 9500 ha avec une prime de 6000 €/ha.
Problème : les deux tiers de ces crédits sont consacrés à la « renaturation » des parcelles arrachées, c’est-à-dire à leur conversion en bois ou en jachère, sans rapport, pendant au moins vingt ans. Un peu plus de 3000 ha, seulement, pourront produire autre chose après arrachage. Les viticulteurs intéressés ont du mal à digérer cette mesure.
André Faugère, à la tête d’un vignoble de 37 ha, à Escoussans, est de ce nombre. Il veut arracher 10 ha pour aider un de ses fils à se lancer dans un élevage de bovins et de porcs en plein air. « La renaturation, c’est une erreur, une hérésie, proteste-t-il. Renaturer des terres avec zéro économie dessus, j’ai du mal à comprendre, alors que l’on nous parle sans arrêt de l’autonomie alimentaire de la France. »
Puis il avance un autre argument : « Une fois que ces vignes seront arrachées, rien ne dit qu’il n’y aura pas de repousses, lesquelles peuvent constituer des foyers d’infection. Sans compter que tous les ans, il faudra entretenir ces jachères. »
A Génissac, Denis Lecourt, à la tête du Château Lecourt Caillet, partage ce sentiment. « C’est idiot de laisser des terres en jachère », assène-t-il. Une des dispositions du plan le choque particulièrement : les vignerons qui veulent profiter de l’arrachage pour cesser leur activité n’ont pas d’autre choix que de renaturer leurs parcelles. « Une fois qu’ils auront empoché les 6000 €/ha que leur restera-t-il ? Rien ! On n’imagine pas leur désarroi. »
Denis Lecourt dirige une exploitation de 30 ha en AOC Bordeaux et Bordeaux Supérieur. Il vend 70% de sa production en bouteilles et 30% en vrac. Il espère arracher 9,60 ha en bénéficiant de la prime et planter, à la place, des peupliers destinés à l’industrie du bois. Son vrac ne se vend pas. « Mes récoltes 2021 et 2022 en Bordeaux rouge sont toujours dans le chai, déplore-t-il. Je ne trouve pas preneur auprès du négoce. Pour combler les trous, j’ai vendu la maison de mes parents, vidé mes assurances-vie. Alors, j’arrête le vrac. »
Pour Jean-François Chaloupin, au château Bieujac La Croisette, 22 ha en AOC Bordeaux, à Bieujac, dans l’Entre-Deux-Mers, l'obligation de renaturation est une catastrophe. « Ces terres laissées en jachère vont donner des ronces, prévient-il. Tous les ans, il faudra broyer, nettoyer. Avec quel argent, s’il n’y a pas de revenus ? Et où se trouve la souveraineté alimentaire dont on nous rebat les oreilles? » Combatif, Jean-François Chaloupin entend arracher 10 ha en bénéficiant de l’aide puis y cultiver des céréales.
« La renaturation avec un engagement sur 20 ans, cela choque nos viticulteurs qui pour certains sont déjà âgés. C’est contraignant », reconnait timidement Stéphane Gabard, président du syndicat des Bordeaux et Bordeaux Supérieur.
Les viticulteurs peuvent remplir leur dossier de pré-candidature depuis le 5 juin, et ce jusqu’au 17 juillet prochain sur une plateforme en ligne. Les candidats retenus pourront faire leur demande officielle de mi-septembre à mi-octobre… sauf surprise. Dans sa notice détaillant le dispositif d’arrachage, la préfecture rappelle que l’aide de l’Etat sera versée « sous réserve de la validation de cette aide par la Commission européenne. »