nnoncée par son éditeur Gallimard auprès de France Inter, la disparition de l’écrivain Philippe Sollers marque la fin d’une époque littéraire connaisseuse et amoureuse des vins. L’auteur de Femmes (1983) et Portrait du joueur (1984), était parrainé rien de moins que le grand écrivain bordelais François Mauriac, avec lequel il partageait un enracinement dans le vignoble girondin. « Je suis né à trois cents mètres à peu près du château Haut-Brion, c'est-à-dire entre Pessac et Talence, très exactement » confiait Philippe Sollers en 2014 lors d’un entretien avec Didier Morin pour L’Infini, ajoutant que « je peux vous raconter beaucoup de choses sur la vigne, sa vie, sa respiration intérieure, et ce qui va s'en suivre ». Grand amateur de château Haut-Brion (« un des plus grands vins qui ait jamais existé dans la famille des Graves »), l’auteur consommait également du château Pape-Clément (Pessac-Léognan), du château d’Yquem (Sauternes)…
Un attachement exclusif qu’il clamait sur Europe 1 en 2017 à l’occasion d’une exposition sur les bistrots à la Cité du vin dont il était membre du comité scientifique : « j'ai compris tout de suite l'importance du vin. Je regardais les vignes avec beaucoup de curiosité. Y-a-t-il du vin ailleurs qu'à Bordeaux ? J'en doute. Je ne crois pas. Il paraît qu'il y en aurait en Bourgogne, mais c'est de la propagande et de la publicité » qui revendiquait être un « fanatique, pour moi, c'est le centre du monde ». Et quand d’autres mondes, et cultures, se frottent aux bordeaux, Philippe Sollers peut se montrer chatouilleux .
Dans une lettre envoyée en février 2019 au maire de Bordeaux, Alain Juppé, l’écrivain lui reprochait « l’incroyable changement de noms de certains vins du terroir, qui deviennent des appellations du folklore chinois (via Hong Kong) et c’est ainsi que débarque chez nous le lapin impérial, le lapin d’or, l’antilope tibétaine, et la grande antilope ». À cette époque, des investisseurs asiatiques avaient en effet rebaptisé des domaines bordelais suivant des noms plus chinois que girondins. Une idée consternante pour Phillipe Sollers : « je ne suis pas excessivement curieux de connaître la vie de ces animaux, n’ayant jamais rencontré, dans mon enfance à Bordeaux, le moindre lapin impérial ni la moindre antilope tibétaine. N’y a-t-il aucun moyen de réattribuer ce vin à sa source légitime, fixée par les siècles ? » Interpellé, Alain Juppé répondit avec humour à Philippe Sollers ne pas avoir de pouvoir sur les noms commerciaux des vins, ni avoir été consulté sur ces sujets, mais invitait Philippe Sollers « à poursuivre cette conversation autour d'un verre… de Bordeaux », évidemment, est le vin « le meilleur au monde » rapportait Les Échos.
Réagissant dans le Point aux projets de réglementation de la communication sur les vins en 2013, Philippe Sollers notait que « le vin est un art. Et c'est évident que derrière ces mesures hygiéniques, ces présupposés de santé, il y a un projet d'annihilation du goût, une atteinte aux sensations du corps humain. » Citant Roland Barthes et son concept d’un vin « boisson-totem » des Français (comme récemment le professeur Fabrizio Bucella), Philippe Sollers estimait que « ce temps est en train de disparaître. Ça ne veut pas dire que les gens vont cesser de boire du vin. Mais la pression s'accentue pour qu'ils ne boivent plus, pour qu'ils ne fument pas, pour qu'ils ne s'aperçoivent pas que leur corps a des sens différents. Vous avez cinq sens. Mais, aujourd'hui, vous devez être scotché à la Toile ou la télévision. L'optique prend toute la place. Le goût va disparaître, l'ouïe est très atteinte aussi. »
Notant qu’« il ne faut pas confondre le pinard avec le vin », Philippe Sollers déclamait le Vin des amants de Charles Baudelaire (les Fleurs du mal, 1857) : « Aujourd'hui l'espace est splendide !
Sans mors, sans éperons, sans bride
Partons à cheval sur le vin
Pour un ciel féerique et divin ! »
On ne peut rêver plus belle épitaphe pour un tel amateur de vin.