Notre première grosse alerte sur les conséquences du changement climatique date des vendanges 2019, avec un stress hydrique important et des degrés qui ont grimpé très vite, témoigne Christophe Deola, directeur du Domaine Louis Latour à Aloxe-Corton (Côte-d’Or). L’année suivante, nous avons réalisé des essais sur 1,5 ha en testant deux méthodes : l’effeuillage apical manuel et un rognage sévère où on a laissé soit 90 cm de haie foliaire, soit 60 à 70 cm, alors que la hauteur normale est de 1,27 m dans nos vignes témoins. »
Christophe Deola a fait ces essais par groupes de trois rangs et n’a étudié le résultat que sur le rang du milieu pour éviter le biais de l’ombre portée. Il les a reconduits en 2022 mais pas en 2021, une année trop pluvieuse.
« Pour les deux essais menés en 2020 et 2022, l’effeuillage apical a semblé plus efficace que le rognage sévère, provoquant une baisse de 0,5 à 1 degré de la richesse en sucres à la récolte, poursuit-il. C’est un point intéressant. Cependant, nous aurions également aimé obtenir une acidité en hausse, mais cela n’a pas été le cas. L’effeuillage apical est un travail chronophage. S’il est avéré qu’il améliore la qualité des moûts, nous travaillerons sur sa mécanisation. Mais n’oublions pas que jusqu’ici, en Bourgogne, il faut une surface foliaire importante pour faire de grands vins. Ce sera peut-être moins vrai dans le futur. »
Toujours en Bourgogne, plusieurs organismes testent différentes pratiques pour moduler le volume de la canopée, à savoir le rognage bas, l’effeuillage classique, l’effeuillage apical et le tressage. Pour coordonner ces recherches, l’interprofession (BIVB) et le conseil régional ont mis en place le dispositif Stratagème en 2022 que le Domaine Louis Latour a intégré. En tout, l’an dernier, des essais ont été menés dans quatre parcelles de l’Yonne, onze parcelles de Côte-d’Or et douze en Saône-et-Loire.
« Différentes hauteurs de rognage ont été testées, de 110 à 160 cm, précise Lise-Marie Lalès, conseillère en viticulture à la chambre d’agriculture de Côte-d’Or. Nous avons pratiqué l’effeuillage apical en retirant 30 à 60 % de la surface foliaire sur le haut du palissage. »
L’intérêt de cet effeuillage est qu’on peut le réaliser tardivement, après véraison, sans blesser les rameaux contrairement à un rognage qui serait effectué pour la première fois à la même époque. On peut donc laisser pousser librement la vigne en début de cycle, puis réduire son feuillage vers la fin, lorsqu’on s’aperçoit que la maturation évolue trop vite ou que les vignes souffrent de stress hydrique. Mais l’effeuillage apical reste une opération entièrement manuelle, et donc chronophage, pour le moment.
L’objectif du programme Stratagème est de proposer aux vignerons des leviers d’adaptation au changement climatique d’ici fin 2024. En attendant, les résultats préliminaires accordent une efficacité supérieure à l’effeuillage apical par rapport au rognage bas pour ce qui est de la baisse de degré à la récolte.
De son côté, la chambre d’agriculture des Pays de la Loire mène des essais depuis trois ans sur l’intérêt de baisser la hauteur du rognage. Présentés lors du Sival 2023, ces essais ont porté sur le cépage grolleau gris en 2020 puis sur le chenin blanc en 2022. En 2021, où il a plu, il n’y en a pas eu.
En 2020, la chambre d’agriculture a testé deux hauteurs de rognage au stade de la fermeture de la grappe, l’un avec une baisse de 30 % de la haie foliaire et l’autre avec 50 % de moins par rapport au témoin dont la haie foliaire mesure 1,42 m de haut, la vigne étant plantée à 5 000 pieds par hectare. « En 2020, avec la baisse de 30 % de la hauteur de rognage, les moûts affichaient 1,4° de moins à la vendange, commente Thomas Chassaing, conseiller viticole et référent changement climatique à la chambre d’agriculture. Avec une baisse de 50 % de la haie foliaire, les moûts affichaient 2,7° en moins mais nous avons également constaté une baisse de rendement. »
Un nouvel essai, équivalent, a été mené en 2022 sur chenin blanc. Cette fois, le rognage a été réalisé début de véraison, soit un peu plus tard qu’en 2020. Dans cet essai, aucune des deux modalités de rognage bas n’a affecté le rendement. À la récolte, le 19 septembre, la vendange affichait 11,8° potentiels, la même richesse en sucres dans les deux parcelles d’essai contre 12,6° dans le témoin. De manière surprenante, le rognage réduit de 30 % a fourni les raisins les plus acides et non celui de 50 %. Les raisins n’ont pas été vinifiés, mais les baies ont été dégustées. À cette occasion, celles issues des modalités expérimentales ont été perçues comme étant en sous-maturité et leur pulpe moins aromatique que celles du témoin. Difficile dans ces conditions de préconiser le rognage bas.
« On va poursuivre les essais cette année, précise Thomas Chassaing. L’avantage avec le rognage, c’est que la hauteur est réversible et qu’on peut l’adapter aux caractéristiques climatiques de chaque millésime. En 2021, il fallait laisser les feuilles ! Le changement climatique va plus vite que nos connaissances. »
En Champagne, l’objectif est également de conserver de l’acidité. « Il faut savoir quoi mettre en place pour que les vignes poussent plus lentement et que la maturité aille moins vite, résume Franck Mazy, gérant de Viti-Concept à Épernay, dans la Marne. Le rognage bas peut être une des voies, mais il faut rester prudent. Ce que l’on a appris à l’école, dans les années 80, sur le rapport feuille/fruit doit rester un fil conducteur pour nos pratiques. Mais depuis trois à quatre ans, c’est moins vrai. On tâtonne… »