Vos vignes, touchez-y le moins possible en période de végétation. » Cyril Cassarini, conseiller à la chambre d’agriculture du Gard, encourage les viticulteurs à modifier leurs pratiques pour s’adapter au changement climatique.
« L’effeuillage ne se fait déjà quasiment plus dans la région, observe-t-il. Je conseille de ne réaliser l’écimage qu’un rang sur deux pour que le sol reste à l’ombre. Il faut écimer au minimum, juste pour pouvoir passer dans les rangs. Sur certains cépages, comme le grenache, on peut se poser la question de l’intérêt du palissage sur les parcelles à faible rendement. C’est coûteux en matériau et en entretien, et pour des vignes peu productives, ça n’apporte pas grand-chose », soutient-il.
Sur le terrain, des viticulteurs font évoluer leurs pratiques pour limiter les effets néfastes du changement climatique. À la tête d’un vignoble de 45 ha à Fenouillet-du-Razès, dans l’ouest audois, Mathieu Bernies a réduit le rognage du chardonnay et de l’arinarnoa.
« Le chardonnay ayant une pellicule fine, il craint plus le soleil que le merlot ou le cabernet-sauvignon, explique-t-il. L’arinarnoa, lui aussi, supporte mal le soleil. Même les années qui ne sont pas caniculaires, les rafles se dessèchent facilement. Jusqu’ici, je passais quatre à cinq fois. L’an dernier, on a eu jusqu’à 55 °C dans les vignes. J’ai voulu garder de la végétation pour faire de l’ombrage, je n’ai effectué que deux rognages et j’ai augmenté l’épaisseur de feuillage en laissant 80 cm à 1 m, au lieu des 50 cm, et en conservant plus d’épaisseur du côté du soleil couchant. »
Mathieu Bernies a également renoncé à l’effeuillage qu’il pratiquait sur ses parcelles de chardonnay situées dans des bas-fonds et donc sensibles au botrytis. Il se pose également la question d’installer des écarteurs sur une partie de son vignoble pour gagner du temps au relevage.
« L’an dernier, la pousse a été extrêmement rapide, se souvient-il. On s’est laissé déborder. Il y avait tout à faire dans un laps de temps très court. Autrefois, il y avait davantage d’écart de végétation entre les cépages et nous arrivions à faire tout le relevage à trois. Aujourd’hui, ce n’est plus possible. L’an dernier, j’ai pris deux équipes en renfort, mais le travail a été mal fait, ils m’ont cassé des fils. Les écarteurs, c’est un coût, mais on gagne 25 à 30 % de temps de travail. Je pense que je vais essayer sur mes chardonnays, pinots noirs et sauvignons. »
Propriétaire d’un vignoble familial de 23 ha en Médoc, à Blaignan-Prignac, Sabine Fauchey a commencé il y a dix ans à revoir ses pratiques pour que ses vignes encaissent mieux le changement climatique. Depuis sept ans, elle a abandonné l’effeuillage. Elle maintient un enherbement qu’elle roule en juin pour que l’herbe sèche et qu’elle constitue un tapis préservant l’humidité du sol.
Cette année, pour la première fois, elle a commencé la taille début mars afin de lutter contre un autre effet du réchauffement : l’augmentation du risque de gelées printanières. « En 2019 et 2021, j’ai eu 80 % de perte à la suite de gels. Pour éviter ça, j’ai fait le pari de tailler tout mon vignoble en un mois et demi alors qu’habituellement, il m’en faut quatre. J’ai fait appel à une équipe. Et j’ai modifié mon planning d’interventions : contrairement aux autres années, j’ai réparé le palissage et travaillé le sol avant de tailler les vignes », détaille-t-elle.
À 60 km au sud, à Pessac-Léognan, Vincent Plantade, qui exploite 10,5 ha de vignes, repense également leur conduite depuis quatre ou cinq ans. « En 1992, j’étais un des premiers vignerons de Léognan à effeuiller. J’en suis revenu. Je n’effeuille plus mes blancs pour préserver de l’acidité. J’ai aussi arrêté d’effeuiller mes parcelles de rouges les plus sèches. Je continue pour le moment sur les autres, mais ce n’est pas systématique. Ça dépend des conditions météo début juillet. Depuis trois ou quatre ans, j’ai également réduit de moitié mes rognages. Je n’en fais plus que deux ou trois par an, contre cinq précédemment. Ça me permet de réduire ma consommation de fuel. En limitant les travaux en vert, J’ai légèrement baissé mes coûts à l’hectare. »
En Alsace, aussi, les effets du changement climatique se font nettement sentir, comme en témoigne Jérémy Welty, qui a repris récemment le domaine familial d’une dizaine d’hectares en bio à Orschwihr : « Nous avons 35 % de notre vignoble sur les collines du Bollenberg, qui est le coin de France le plus au nord à bénéficier d’un climat méditerranéen avec seulement 300 à 500 mm de pluie par an. Ce sont des terres peu profondes où les vignes souffrent très rapidement, en particulier le riesling et le gewurztraminer, qui sont vite sujets au stress hydrique. »
Pour garder de la fraîcheur et protéger ses vignes et ses raisins des fortes chaleurs, Jérémy Welty développe un mode de conduite original. Il laisse monter la végétation le plus haut possible pour former une sorte de pergola à 2,50 m de haut. Il conduit son palissage sur cinq ou six fils, le dernier se trouvant entre 1,80 à 2 m de haut selon les parcelles.
« Avec cette voûte de végétation, je garde de la fraîcheur et de l’ombre. Mais il m’est impossible de passer en tracteur pour le rognage. Je l’effectue à la main au ciseau, en réalisant un seul passage quinze jours avant les vendanges. J’ai testé cette pratique en 2020 sur la partie la plus sèche de mon vignoble. En 2021, cela n’a pas été nécessaire car le printemps et l’été ont été très humides. L’année dernière, j’ai appliqué ce mode de conduite à l’ensemble de mon vignoble », raconte-t-il.
Ses rendements restent satisfaisants, même s’ils n’atteignent pas le quota autorisé. Il produit 40 à 50 hl/ha sur les secteurs les plus secs, 70 hl/ha dans les zones plus arrosées. Pour monter ses vignes en pergola et effectuer le rognage au ciseau, le vigneron compte 12 heures/ha.
Autre évolution dans ses pratiques : il réalise un effeuillage précoce et allégé. « J’interviens juste après la floraison pour nettoyer la grappe. Je passe avec une effeuilleuse pneumatique en veillant à ne pas enlever trop de feuilles. »
En Champagne, Arnaud Billard n’a pas modifié fondamentalement ses pratiques, il a simplement modéré ses effeuillages en les limitant aux parcelles les plus humides : « J’effeuille au mois de juin afin d’améliorer l’efficacité des traitements sur environ 20 % de mon vignoble de 8,5 ha. Ce n’est pas systématique. Ainsi, l’an dernier, je n’ai pas effeuillé car l’été a été chaud et sec. Je n’ai pas eu trop de brûlures malgré les températures parfois élevées. »
À Montréal-du-Gers, Jean-Luc Lapeyre est la troisième génération à la tête du domaine de la Haille, un vignoble familial de 45 ha. Lui aussi adapte ses pratiques pour protéger à tout prix ses raisins du soleil et préserver le profil thiolé de ses côtes-de-gascogne.
« Depuis 2015, nous n’avons pas eu d’année normale, remarque-t-il. Le climat s’est nettement déréglé à partir de cette date. C’est là que j’ai commencé à réduire mes rognages. Jusque-là, je rognais trois à quatre fois. Maintenant, je me limite à deux fois. Je ne coupe que les têtes, l’idée étant d’augmenter la surface foliaire pour maintenir les raisins à l’ombre afin d’éviter les grillures. Dès que le soleil tape sur la peau des raisins, celle-ci s’épaissit et on a des polyphénols qu’on ne souhaite pas pour le profil de vins que l’on vise. Mes vignes ne sont plus au carré. C’est moins esthétique, mais on ne fait pas un concours de beauté des plus jolies vignes. »
Pour gagner du temps au relevage, qui commence plus tôt à cause des débourrements plus précoces, Jean-Luc Lapeyre a rajouté deux fils releveurs. Enfin, il a également revu l’organisation de la taille. Depuis l’an dernier, il l’a retardée pour finir au mois d’avril et éviter le gel. « Désormais, on entretient le palissage avant de tailler alors qu’avant, on le faisait après. »
Producteur de cognac et de pineau des Charentes sur 36 ha en Petite Champagne, Jérémy Pouilloux prend la même précaution : « Autrefois, tout le vignoble était taillé fin février. Maintenant, on taille jusqu’à fin mars. Dès lors, on commence l’attachage des vignes déjà taillées avant d’avoir fini la taille pour éviter d’être dans l’urgence par la suite. L’an dernier, le débourrement a été précoce et la pousse rapide, nous avons été dans le jus pour tous les travaux à la vigne. Cette année, nous renforçons le personnel à façon. Nous allons garder pour le relevage les douze à quinze personnes qu’on emploie pour l’égourmandage. »
Ce recours à la main-d’œuvre saisonnière occasionne des surcoûts, mais ils sont compensés par la diminution des rognages. « Nous en faisions quatre à six précédemment. L’an dernier, on est tombé à trois, dont le dernier fin août. Ça fait moins joli dans les vignes, mais c’est efficace pour protéger les raisins de la chaleur. L’an dernier, nous avons eu jusqu’à 40 °C pendant une petite semaine. » Pour le vigneron charentais, cette évolution du climat n’a pas que des mauvais côtés : « Maintenant, on vendange en short, ce n’est pas désagréable. »
Dans son mémoire de fin d’étude sur l’impact du réchauffement climatique sur les rendements dans les Côtes du Rhône, Augustin Dura note une augmentation sensible de la précocité des vignes, la véraison et les vendanges se produisant jusqu’à deux semaines plus tôt qu’il y a quarante ans. Le rapport pointe également une augmentation du stress hydrique dans l’ensemble de la région : une parcelle de faible réserve utile subit 24 jours de plus de stress hydrique entre la floraison et la véraison en 2017 qu’en 1974 alors que, dans le même temps, le déficit hydrique annuel a diminué. Ce paradoxe s’explique par l’évolution de la répartition des pluies, concentrées sur un nombre plus réduit de jours. Pour Augustin Dura, la chute des rendements observée depuis les années 1990 dans les Côtes du Rhône s’explique par l’excès de chaleur et de stress hydrique. Pour y remédier, il propose d’abandonner l’effeuillage, de développer l’irrigation et d’opter pour des porte-greffes plus adaptés.