et hiver, Pascal Pelissou a arraché quatre parcelles qui touchaient dix maisons. « Ce sont des vieilles vignes plantées sur des petites parcelles de moins d'un demi-hectare. Il fallait que je les arrache », explique-t-il. En d'autres temps, il les aurait replantées au même endroit. Mais vu le climat de suspicion à l'égard des traitements et, surtout, le risque que la DSPPR (distance de sécurité vis-à-vis des personnes présentes et des riverains) passe à 10 m pour tous les produits phyto, il les replantera ailleurs.
« J'ai la chance d'avoir du foncier, explique ce vigneron qui exploite 69 ha dont 25 en bio à Brens, dans le Tarn. Je n'ai pas d'ennui avec mes voisins. Ils sont plutôt contents d'avoir de la vigne ou des champs à côté de chez eux. Mais si la DSPPR passe à 10 m, il ne restera plus grand-chose dans ces parcelles. Ça ne vaudra plus de coup de les cultiver. Nous avons signé une charte de bon voisinage en juin l'an dernier qui nous permet de réduire la distance de sécurité à 5 m avec un pulvérisateur antidérive. Avec 5 m, on s'en sort dans toutes les situations. Pas avec 10 m. »
Que se passera-t-il lorsque cette distance de 10 m se généralisera ? La question travaille Pascal Pelissou qui a fait ses comptes. « Je devrais arracher 1 ha à cause des maisons et 2 ha à cause des chemins. Pour les maisons, je comprends qu'il faille traiter à distance, pas pour les chemins ruraux : il n'y passe presque personne », déclare-t-il. Heureusement pour lui, ces chemins ne sont pas concernés au même titre que les habitations [voir encadré].
Un peu plus loin, à Cunac, commune résidentielle à 5 km d'Albi, cet autre coopérateur préfère garder l'anonymat. « Certaines de mes parcelles sont coincées par les habitations », indique ce vigneron à la tête de 21 ha certifiés bio depuis 2023. Avant chaque traitement, il envoie un SMS à une vingtaine de riverains et ne manque jamais de leur rappeler qu'il est en bio. Il a peu de retours de leur part. Et pas de problèmes avec eux.
Il a fait ses calculs : en tout, ses parcelles à moins de 10 m d'habitations ou de chemins couvrent 5 ha. « Face à l'épée de Damoclès que constituent les DSPPR, je pense arracher ces vignes dans les deux ou trois ans qui viennent. Et ce d'autant plus facilement que ce sont de vieilles vignes que je pourrai replanter ailleurs, même si ces petites parcelles qui s'imbriquent les unes dans les autres font la beauté de ce paysage dans lequel j'ai grandi », confie-t-il.
Déjà au cours des quatre dernières années, il a replanté 6 ha sur des terres éloignées des habitations qu'il consacrait à la culture du maïs semence. Seules deux maisons figurent dans ce paysage. « On ne prend plus plaisir à exercer notre métier à cause des risques de tension avec les riverains et de la législation qui nous contraint de plus en plus », indique-t-il.
Autre problématique : une dizaine de chemins traverse ses vignes. Il a mis des pancartes indiquant « chemin interdit, propriété privée ». Pas de quoi faire rebrousser les promeneurs.
En Alsace, Maximilien Zaepffel n'a aucun problème avec le voisinage. « On a toujours fait de la prévention. Il n'y a jamais eu un mot de travers », relate le propriétaire du domaine éponyme, 11 ha à Dambach-la-Ville, en bio depuis 2021. Il y a vingt ans déjà, la commune, qui compte trois écoles et un Ehpad, et les viticulteurs se sont mis autour de la table pour s'entendre sur les horaires d'épandage. Histoire de pacifier les relations avec le voisinage.
Bien qu'il n'ait aucun problème avec ses voisins, Maximilien Zaepffel a arraché des rangs de vigne sur cinq parcelles jouxtant des habitations pour « préserver nos bonnes relations ». Désormais, ses deniers rangs sont à 10 m.
Pour ce qui est des chemins, c'est une autre affaire. Une piste cyclable de 6 km de long traverse les vignes du viticulteur. « Les gens nous insultent et nous traitent de pollueur. J'essaie d'expliquer notre métier quand un cycliste s'arrête. Parfois, il repart en étant moins en colère. »
Christian Kohser, vice-président de l'ODG des vins d'Alsace, s'inquiète : « Rien ne dit que la DSPPR ne sera pas portée au-delà de 10 m. Ce qui condamnerait des pans entiers de l'économie », prévient-il.
Dans le Bordelais, Paulin Calvet, propriétaire du Château Picque Caillou, 25 ha, un des quatre vignobles les plus proches de Bordeaux, ne dit pas autre chose : « Si cette folle mesure est appliquée à tous les produits, je perdrai un hectare, mais dans d'autres régions, comme la Champagne ou l'Alsace, ce sera pire, il y aura des milliers d'hectares sacrifiés. »
Par chance, le château jouxte un bois. Il a donc peu de riverains directs avec lesquels les relations sont cordiales. « Depuis dix ans, j'envoie des messages pour les informer lorsque nous allons traiter. Nous n'avons pas de problèmes. » Sur ses chemins, il a mis une pancarte « chemin privé ». Cela ne dissuade en rien les promeneurs qui continuent de circuler.
La distance incompressible de 10 m s’applique-t-elle aux chemins ? Contrairement à La Vigne et à Vitisphere, le service homologation d’une firme phyto qui souhaite rester anonyme a obtenu une réponse de la direction générale de l’alimentation (DGAL) du ministère de l’Agriculture. « La DSPPR doit être respectée que les lieux d’habitation [écoles, hôpitaux, Ehpad, usines, commerces… NDLR] soient occupés ou non. En revanche, elle ne s’applique aux chemins et aux routes que lorsqu’un passant est présent », explique cette entreprise. La DGAL a précisé que la DSPPR s’applique au promeneur présent au moment du traitement et non à l’ensemble du lieu où il est susceptible de se trouver. « Lorsqu’un viticulteur est en train de traiter et qu’un promeneur s’approche à 10 m, le mieux est donc qu’il s’arrête et qu’il ne reprenne qu’après le passage du promeneur », reprend la firme. Pour éviter de devoir s’interrompre, les viticulteurs peuvent placer une pancarte prévenant les passants qu’ils sont en train de traiter en leur demandant de patienter un petit moment. M. B.