l y a quatre ans, Benoît Sordet, à la tête du domaine Coste-Caumartin, 13 hectares à Pommard, en Côte-d’Or, a opéré un virage. Adieu glyphosate, bonjour travail du sol. Enfin presque : une parcelle caillouteuse, impossible à travailler, reste désherbée chimiquement. Les 10 000 € qu’il a investis dans du matériel neuf et d’occasion (covercrop, disques à moteur, interceps) sont récompensés par une vigne qui « a repris de la vigueur », se félicite-t-il. Mais là où deux traitements herbicides suffisaient, cinq passages d’outils sont nécessaires, ce qui ajoute cent heures de travail par an et fait grimper la facture de gasoil.
Le rendement a souffert les deux premières années. « Les radicelles qui avaient poussé à l’horizontale ont été coupées lors des passages d’outils, relate le vigneron. Ensuite, la vigne s’est adaptée en plongeant en profondeur. »
Plus récemment, Benoît Sordet a implanté des engrais verts afin de diminuer la fertilisation et d’aérer le sol soumis à de fréquents passages d’outils. Dès 2017, ce vigneron certifié HVE avait intégré du biocontrôle dans sa protection fongicide. « J’utilise du soufre et du cuivre en début et fin de campagne, mais des produits conventionnels pour l’encadrement de la fleur, détaille-t-il. En 2022, j’ai effectué sept traitements dont quatre “bio”. »
Le coût total des traitements a fondu : de 9 500 € en 2016 (dont 2 200 € d’herbicides) à 3 200 € en 2022 (dont 60 € d’herbicides). L’arrêt pur et simple des antibotrytis représente une économie nette de 1 600 €. « Lors d’une formation collective avec la chambre d’agriculture, j’ai vu que les autres vignerons avaient fait ce saut au vu de l’évolution du climat : cela m’a donné confiance », témoigne-t-il.
Quand on lui demande le coût global de ses nouvelles pratiques Benoît Sordet répond qu’il ne raisonne pas dans ces termes. « Je cherche à préserver l’eau et la terre qui sont des biens communs. Je suis content de mes choix : les sols respirent mieux, la vigne a repris de la vigueur. »
À Chénas, dans le Rhône, Nicolas Loron a aussi investi 10 000 € pour travailler le sol du domaine des Fontaines. Mais ses vignes âgées, plantées denses et en gobelet, sont peu adaptées. « J’arrache un demi-hectare par an pour replanter plus large et palisser, explique-t-il. Sur mes 9 ha, un et demi est de toute façon trop pentu pour passer un outil. Je le désherbe chimiquement. Ailleurs, j’effectue un traitement herbicide puis deux passages mécaniques, ou davantage selon la météo. »
Le temps de désherbage a doublé et les dépenses de carburant augmenté, sans qu’il les ait chiffrées. « Le gain est surtout écologique, admet-il. Mieux vaut se préparer à une réglementation qui se durcit. »
Non loin de là, à Odenas, les vignes de Nicolas Boudeau, sur 15 ha en Brouilly et Côte de Brouilly, offrent divers visages. Les vignes âgées sont conduites en gobelet et plantées à 10 000 pieds/ha. Les vignes récentes sont plantées à 2 m d’écartement et palissées. Entre les deux se trouvent des gobelets transformés tant bien que mal en cordons. « Il a fallu trois ans pour y parvenir », témoigne le vigneron. Objectif : faciliter la mécanisation, avec un parc matériel acheté en Cuma avec quatre collègues qui suivent la même voie.
Nicolas Boudeau (crédit photo Bérengère Lafeuille)
Il y a douze ans, il a commencé à travailler le sol et enherber certaines parcelles. « Aujourd’hui, 80 % de mes vignes sont désherbées mécaniquement et à terme ce sera 100 %, prévoit-il. En 2021, avec quatre passages de charrue, cela m’a coûté 2 000 €/ha incluant la main-d’œuvre, le gasoil, les amortissements et l’usure du matériel. Une année sèche comme 2022, je gagne deux passages, ce qui ramène le coût à 1 000 €/ha. Le désherbage chimique, lui, me revient à 500 €/ha. »
Nicolas Boudeau a remplacé les insecticides par la confusion sexuelle, pour un coût triplé (120 €/ha). Côté fongicide, deux itinéraires cohabitent depuis qu’il a entamé en 2020 la conversion en bio d’une partie de l’exploitation (4 ha). Six à huit traitements sont nécessaires en conventionnel, huit à dix en bio. La protection fongicide revient à 950 €/ha en conventionnel, 1 200 €/ha en bio. « Le rendement a chuté de 30 % en bio, mais je valoriserai mieux ces vins », prévoit-il. Le reste est HVE, une certification « exigée pour le vrac et rassurante pour le consommateur ».
À Bourgueil, Thierry Houx assume l’usage raisonné d’herbicides sur son exploitation de 14 ha certifiée HVE. « Je limite le travail mécanique pour préserver les vers de terre », explique-t-il, lui qui « ne cherche pas non plus une propreté nickel ». Les insecticides, eux, ont disparu. « Depuis six ans, je pose des trichogrammes sur trois hectares, pour un coût de 200 €/ha. J’ai des puffers sur un hectare et je me contente de surveiller le reste. »
Son budget phytosanitaire est de 5 000 à 6 000 €/an, en limitant au maximum les traitements, les doses et la toxicité : aucun CMR1, mais du soufre et des stimulateurs de défenses naturelles en complément de produits conventionnels. Ce qui bonifie sa rémunération par la coopérative.
En Val de Loire, Cyril Leau a converti en bio l’ensemble du domaine Clo (25 ha). Installé en 2015, il a démarré une transition en douceur en commençant à « gratouiller les sols en surface pour modifier l’implantation racinaire ». Pour mener ce changement, il a investi environ 30 000 € dans du matériel de travail du sol, en propriété et en Cuma. Cyril Leau réalise cinq passages par an avec différents outils. « Le désherbage chimique coûtait 200 à 250 €/ha, se souvient-il. Pour le travail du sol, c’est 250 à 300 €/ha de main-d’œuvre et de gasoil, auxquels il faut ajouter l’usure et l’entretien des outils. »
Cyril Leau maîtrise la protection fongique avec du soufre et du cuivre à faibles doses : cinq traitements en 2022, soit 1,2 kg/ha de cuivre et 36 kg/ha de soufre sur l’année. « Le coût des produits est faible mais la prise de risque plus importante, souligne le vigneron. Et être bio ne se limite pas à changer de produits : nous avons planté des haies et des arbres afin de recréer un écosystème où les auxiliaires peuvent jouer leur rôle. »
À cela s’ajoute une chute des rendements de l’ordre de 20 % imputée à la perte de pieds, à la concurrence de l’herbe, aux maladies et au remplacement des engrais de synthèse par des fumiers à minéralisation plus lente. « Le coût de production a augmenté de 30 %, évalue Cyril Leau. Mais le prix des vins a aussi augmenté de 30 % et ils se vendent mieux, notamment à l’export. »
Remplacer le désherbage par du travail du sol, oui, mais à quel coût ? Pour aider les viticulteurs à répondre à cette question, la chambre d’agriculture de Gironde a développé un outil Excel qui simule l’impact économique d’un changement de pratiques de ce type. Il permet de comparer son itinéraire à des itinéraires alternatifs. Dénommé Eco Viti Sol, ce calculateur est accessible gratuitement en ligne (www.vinopole.com/outils/) mais ne prétend pas remplacer une étude plus approfondie menée avec un conseiller.