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Ces vignerons témoignent du coût de la transition écologique
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Itinéraires alternatifs
Ces vignerons témoignent du coût de la transition écologique

Travailler les sols, adopter des solutions de biocontrôle… Des viticulteurs font évoluer leurs pratiques sans forcément passer en bio, cherchant l’équilibre entre économie et écologie.
Par Bérengère Lafeuille Le 10 mars 2023
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Ces vignerons témoignent du coût de la transition écologique
Benoît Sordet, à la tête du domaine Coste-Caumartin, 13 ha à Pommard, en Côte-d'Or a changé ses pratiques de désherbage il y a quatre ans pour passer au travail du sol. - crédit photo : DR
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l y a quatre ans, Benoît Sordet, à la tête du domaine Coste-Caumartin, 13 hectares à Pommard, en Côte-d’Or, a opéré un virage. Adieu glyphosate, bonjour travail du sol. Enfin presque : une parcelle caillouteuse, impossible à travailler, reste désherbée chimiquement. Les 10 000 € qu’il a investis dans du matériel neuf et d’occasion (covercrop, disques à moteur, interceps) sont récompensés par une vigne qui « a repris de la vigueur », se félicite-t-il. Mais là où deux traitements herbicides suffisaient, cinq passages d’outils sont nécessaires, ce qui ajoute cent heures de travail par an et fait grimper la facture de gasoil.

Le rendement a souffert les deux premières années

Le rendement a souffert les deux premières années. « Les radicelles qui avaient poussé à l’horizontale ont été coupées lors des passages d’outils, relate le vigneron. Ensuite, la vigne s’est adaptée en plongeant en profondeur. »

Plus récemment, Benoît Sordet a implanté des engrais verts afin de diminuer la fertilisation et d’aérer le sol soumis à de fréquents passages d’outils. Dès 2017, ce vigneron certifié HVE avait intégré du biocontrôle dans sa protection fongicide. « J’utilise du soufre et du cuivre en début et fin de campagne, mais des produits conventionnels pour l’encadrement de la fleur, détaille-t-il. En 2022, j’ai effectué sept traitements dont quatre “bio”. »

Le coût total des traitements a fondu : de 9 500 € en 2016 (dont 2 200 € d’herbicides) à 3 200 € en 2022 (dont 60 € d’herbicides). L’arrêt pur et simple des antibotrytis représente une économie nette de 1 600 €. « Lors d’une formation collective avec la chambre d’agriculture, j’ai vu que les autres vignerons avaient fait ce saut au vu de l’évolution du climat : cela m’a donné confiance », témoigne-t-il.

Quand on lui demande le coût global de ses nouvelles pratiques Benoît Sordet répond qu’il ne raisonne pas dans ces termes. « Je cherche à préserver l’eau et la terre qui sont des biens communs. Je suis content de mes choix : les sols respirent mieux, la vigne a repris de la vigueur. »

Le temps de désherbage a doublé

À Chénas, dans le Rhône, Nicolas Loron a aussi investi 10 000 € pour travailler le sol du domaine des Fontaines. Mais ses vignes âgées, plantées denses et en gobelet, sont peu adaptées. « J’arrache un demi-hectare par an pour replanter plus large et palisser, explique-t-il. Sur mes 9 ha, un et demi est de toute façon trop pentu pour passer un outil. Je le désherbe chimiquement. Ailleurs, j’effectue un traitement herbicide puis deux passages mécaniques, ou davantage selon la météo. »

Le temps de désherbage a doublé et les dépenses de carburant augmenté, sans qu’il les ait chiffrées. « Le gain est surtout écologique, admet-il. Mieux vaut se préparer à une réglementation qui se durcit. »

Non loin de là, à Odenas, les vignes de Nicolas Boudeau, sur 15 ha en Brouilly et Côte de Brouilly, offrent divers visages. Les vignes âgées sont conduites en gobelet et plantées à 10 000 pieds/ha. Les vignes récentes sont plantées à 2 m d’écartement et palissées. Entre les deux se trouvent des gobelets transformés tant bien que mal en cordons. « Il a fallu trois ans pour y parvenir », témoigne le vigneron. Objectif : faciliter la mécanisation, avec un parc matériel acheté en Cuma avec quatre collègues qui suivent la même voie.

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Nicolas Boudeau (crédit photo Bérengère Lafeuille)

Il y a douze ans, il a commencé à travailler le sol et enherber certaines parcelles. « Aujourd’hui, 80 % de mes vignes sont désherbées mécaniquement et à terme ce sera 100 %, prévoit-il. En 2021, avec quatre passages de charrue, cela m’a coûté 2 000 €/ha incluant la main-d’œuvre, le gasoil, les amortissements et l’usure du matériel. Une année sèche comme 2022, je gagne deux passages, ce qui ramène le coût à 1 000 €/ha. Le désherbage chimique, lui, me revient à 500 €/ha. »

Meilleure valorisation des vins

Nicolas Boudeau a remplacé les insecticides par la confusion sexuelle, pour un coût triplé (120 €/ha). Côté fongicide, deux itinéraires cohabitent depuis qu’il a entamé en 2020 la conversion en bio d’une partie de l’exploitation (4 ha). Six à huit traitements sont nécessaires en conventionnel, huit à dix en bio. La protection fongicide revient à 950 €/ha en conventionnel, 1 200 €/ha en bio. « Le rendement a chuté de 30 % en bio, mais je valoriserai mieux ces vins », prévoit-il. Le reste est HVE, une certification « exigée pour le vrac et rassurante pour le consommateur ».

À Bourgueil, Thierry Houx assume l’usage raisonné d’herbicides sur son exploitation de 14 ha certifiée HVE. « Je limite le travail mécanique pour préserver les vers de terre », explique-t-il, lui qui « ne cherche pas non plus une propreté nickel ». Les insecticides, eux, ont disparu. « Depuis six ans, je pose des trichogrammes sur trois hectares, pour un coût de 200 €/ha. J’ai des puffers sur un hectare et je me contente de surveiller le reste. »

Son budget phytosanitaire est de 5 000 à 6 000 €/an, en limitant au maximum les traitements, les doses et la toxicité : aucun CMR1, mais du soufre et des stimulateurs de défenses naturelles en complément de produits conventionnels. Ce qui bonifie sa rémunération par la coopérative.

En Val de Loire, Cyril Leau a converti en bio l’ensemble du domaine Clo (25 ha). Installé en 2015, il a démarré une transition en douceur en commençant à « gratouiller les sols en surface pour modifier l’implantation racinaire ». Pour mener ce changement, il a investi environ 30 000 € dans du matériel de travail du sol, en propriété et en Cuma. Cyril Leau réalise cinq passages par an avec différents outils. « Le désherbage chimique coûtait 200 à 250 €/ha, se souvient-il. Pour le travail du sol, c’est 250 à 300 €/ha de main-d’œuvre et de gasoil, auxquels il faut ajouter l’usure et l’entretien des outils. »

Une prise de risque plus importante

Cyril Leau maîtrise la protection fongique avec du soufre et du cuivre à faibles doses : cinq traitements en 2022, soit 1,2 kg/ha de cuivre et 36 kg/ha de soufre sur l’année. « Le coût des produits est faible mais la prise de risque plus importante, souligne le vigneron. Et être bio ne se limite pas à changer de produits : nous avons planté des haies et des arbres afin de recréer un écosystème où les auxiliaires peuvent jouer leur rôle. »

À cela s’ajoute une chute des rendements de l’ordre de 20 % imputée à la perte de pieds, à la concurrence de l’herbe, aux maladies et au remplacement des engrais de synthèse par des fumiers à minéralisation plus lente. « Le coût de production a augmenté de 30 %, évalue Cyril Leau. Mais le prix des vins a aussi augmenté de 30 % et ils se vendent mieux, notamment à l’export. »

 

Un simulateur accessible gratuitement

Remplacer le désherbage par du travail du sol, oui, mais à quel coût ? Pour aider les viticulteurs à répondre à cette question, la chambre d’agriculture de Gironde a développé un outil Excel qui simule l’impact économique d’un changement de pratiques de ce type. Il permet de comparer son itinéraire à des itinéraires alternatifs. Dénommé Eco Viti Sol, ce calculateur est accessible gratuitement en ligne (www.vinopole.com/outils/) mais ne prétend pas remplacer une étude plus approfondie menée avec un conseiller.

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