La prophylaxie joue un rôle primordial dans les parcelles à historique. «Il faut absolument sortir les bois de taille qui contiennent les baies momifiées, donc l’inoculum. Sinon, la maladie peut revenir des années plus tard», souligne Pascal Mialet, installé dans le Gard à Lecques. «On peut les brûler. Dans ce cas, cela prend 1 h 45 par hectare en moyenne. Autrement, on les broie et on les enfouit dans la terre, une opération qui prend plutôt 1 h 15 par hectare. C’est cette deuxième option que j’ai choisie. Je monte un broyeur hors sol sur un tracteur vigneron, je broie, puis j’enfouis avec un cultivateur lors d’un deuxième passage.»
Pascal Mialet, vigneron bio dans le Gard (crédit photo DR)
À Vire-sur-Lot, dans le Quercy, autre secteur très concerné par le champignon, Timothy Thielen a lui aussi choisi de broyer et d’enfouir les bois. Ce producteur d’IGP Côtes-du-Lot et d’AOP Cahors a intégré l’opération à sa routine hivernale. «On effectue un important buttage en automne. Après la taille, on sort les bois, qu’on broie et qu’on enfouit lors du décavaillonnage, avec une décavaillonneuse et un cultivateur.» Méticuleux, le vigneron conseille également de «bien vérifier au moment d’attacher les baguettes que des vieilles rafles ne sont pas restées accrochées dessus. Si c’est le cas, il faut les faire tomber et les enfouir avec le reste». L’ensemble de ces mesures «limite le développement du black-rot».
Timothy Thielen, vigneron dans le Lot (photo Domaine de Bénéjou)
Pour l’une de ses parcelles très sensibles, Timothy Thielen est même allé plus loin. «Cette vigne est entourée de bois, donc peu aérée et peu ensoleillée. Elle a déjà subi des dégâts énormes : jusqu’à 70% de pertes en 2018, l’année de notre conversion. On s'est même demandé si on n’allait pas arracher puis replanter cette parcelle ailleurs. Finalement, on a pu acquérir le bois attenant, qu’on a fait couper. Maintenant, le soleil arrive dans la parcelle à 9 h 30 au lieu de midi et il y a moins d’humidité. La pression a chuté.»
La prophylaxie ne dispense pas de traiter, en particulier lorsque les conditions météo l’imposent. Le black-rot est moins exigeant que le mildiou : il peut se développer dès 9°C dès lors qu’il y a une durée d’humectation suffisante. «Tout se joue au débourrement. Si on a du brouillard ou de la rosée plusieurs matins d’affilée ainsi que des températures élevées en journée, alors les conditions sont réunies pour que des contaminations aient lieu», témoigne Pascal Mialet. Ce producteur d’IGP Pays d’Oc et AOP Coteaux du Languedoc lance donc la protection entre les stades C et D, «lorsque environ 20% des bourgeons ont éclaté.» Il effectue ses premiers traitements avec 3l/ha de soufre mouillable liquide (Lucifere) – «car la formulation permet de mieux coller» – et 200g de cuivre métal, sous forme de bouillie bordelaise. De son côté, le Cognaçais Jean-Baptiste Pinard, installé à Foussignac, dont le domaine est en bio depuis plus de cinquante ans, commence entre les stades E (2 à 3 feuilles étalées) et F (5 à 6 feuilles étalées). «C’est un peu contradictoire vis-à-vis des bonnes pratiques : lors des premiers traitements, on ne sait pas si le black-rot est là. Mais, quand on voit les symptômes, il peut être trop tard. On ne joue pas avec ça !»
Jean-Baptiste Pinard, vigneron bio dans les Charentes (photo Mickaël Boudot)
Le vigneron passe beaucoup de temps sur les premières applications et pulvérise alors «des doses infimes, soit environ 1kg de cuivre et 2kg de soufre pour 27 hectares, avec panneaux récupérateurs. On le fait lors des deux premiers passages, à une semaine d’intervalle», avant d’augmenter les doses.
En bio, la protection contre le black-rot repose uniquement sur le soufre et le cuivre. Jean-Baptiste Pinard a bien essayé des stimulateurs de défense des plantes mais, d’après lui, «cela n’a rien de probant et n’apporte rien à la protection classique soufre +cuivre». Il continue donc la lutte avec du soufre mouillable et, côté cuivre, «principalement de la bouillie bordelaise, que je combine avec un hydroxyde, qui libérera plus d’ions cuivreux en cas de pluie importante». Et de préciser : «C’est la même protection que celle contre le mildiou et l’oïdium, mais avec un peu plus de soufre – jusqu’à 8kg/ha en juin – car c’est la matière active qui reste la plus efficace contre le black-rot.» Sur ce point, Pascal Mialet confirme qu’«il ne faut surtout pas négliger la dose de soufre, particulièrement en début de saison où le risque de brûlure est nul». Lui aussi combine bouillie bordelaise et soufre mouillable, en mouillant bien. «Il faut presque que ça ruisselle sur les bourgeons. On travaille à des volumes pouvant atteindre 250 litres par hectare.» Dans le Lot, Timothy Thielen choisit de frapper fort dès le début. «Je traite à 7kg de soufre et 700g de bouillie bordelaise, dès le premier traitement. Toutefois, au début, je concentre davantage le produit, à 50 litres d’eau seulement ; je le dilue progressivement ensuite. Ça empêche le champignon de s’installer, sans risque de brûlure puisqu'on est en début de saison.»
Les renouvellements doivent être très réguliers s’il y a de la pression. Selon Jean-Baptiste Pinard, «quand on commence à traiter, il faut renouveler tous les 20mm de pluie ou tous les 5 à 10cm de pousse. Dans les faits, cela veut dire toutes les semaines jusqu’au relevage, à la mi-juin. À partir de fin juin-début juillet, le meilleur traitement, c’est la chaleur. On espace alors les applications de dix à quinze jours.» Pour sa part, Timothy Thielen renouvelle environ tous les dix jours.
Tous ces vignerons arrêtent leur protection au moment de la véraison. «Normalement, j’arrête vers le 20-25juillet, deux mois avant la récolte, détaille Jean-Baptiste Pinard. Sinon, je risque de retrouver des résidus de soufre dans mes jus, sachant que le cuivre seul ne fonctionne pas. S’il y a encore de la pression à cette date, c’est très mauvais signe, c’est qu’il ne reste plus grand-chose. Si cela m’arrive, je poursuis malgré tout avec du soufre.» Idem chez Timothy Thielen, à un détail près : «S’il y a une grosse pression dans la saison, on va faire un dernier soufre aprèsvéraison, afin de supprimer l’inoculum potentiellement présent.»
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