e plus en plus de vignerons cherchent à améliorer la vie de leurs sols. Pour s’assurer que leurs pratiques vont dans le bon sens, de nouveaux indicateurs sont disponibles, comme la biomasse microbienne ou le rapport champignons/bactéries. « La biomasse du sol réagit plus vite aux changements de pratiques que le taux de matière organique, paramètre que l’on mesure classiquement mais qui évolue lentement, explique Battle Karimi, directrice scientifique de NovaSol Experts, à Dijon, en Côte-d'Or. Avec ces nouveaux indicateurs, nous aidons les vignerons à valider leurs pratiques. »
Cette spécialiste de la microbiologie des sols est intervenue au domaine Rémy Martin, à Cognac, en Charente. Celui-ci menait depuis trois ans des essais d'enherbement, sans constater d'effet sur le taux de carbone du sol, ni sur celui d’azote. « En analysant l'activité biologique, des différences sont apparues, relate Battle Karimi. Nous nous remarqué que l'enherbement stimulait mieux la biomasse que le travail du sol, tout en remontant le pourcentage de champignons, ce qui est favorable à la stabilité du sol. »
Cela a conforté ce domaine dans son choix d’enherber. « Nous allons continuer à utiliser ces indicateurs pour faire évoluer nos pratiques tout en nous assurant de préserver la fertilité de nos sols », note Laura Mornet, la responsable Recherche et Développement de l’entreprise.
Pour obtenir ces nouveaux indicateurs, NovaSol Experts fait appel à la PCR-séquençage, qui permet de caractériser l'ADN extrait du sol (lire l'encadré). A Narbonne, dans l'Aude, le groupe Laboratoire Dubernet et la SRDV, sa filiale spécialisée dans le conseil agronomique, travaillent sur le même sujet mais en utilisant une méthode venue de l'oenologie: la cytométrie de flux 3D.
« Nous l'avons adaptée au sol, précise Matthieu Dubernet, son dirigeant. Cette méthode permet de différencier les bactéries et les champignons tout en les quantifiant, et donc de calculer la biomasse microbienne et le ratio champignons/bactéries. » Après trois ans de mesures chez des vignerons, le laboratoire a constitué un premier référentiel et repéré quelques liens entre le sol et la vigne.
« Nous avons observé une corrélation entre la quantité de phosphore dans la sève et le ration champignons/bactérie, assure l'expert. Les champignons, en acidifiant le milieu autour des racines, semblent favoriser l'absorption du phosphore, ce qui améliore la qualité des vins. »
La SRDV a également constaté que les couverts qui exercent une concurrence hydrique avec la vigne dégradent en même temps la vie du sol. « Pour se développer, la biomasse a besoin d'eau », rappelle Matthieu Dubernet. Sur ce plan-là, le goutte-à-goutte n'est pas idéal car il n’humidifie qu’un faible volume de sol. « Nous avons comparé le goutte-à-goutte à l’aspersion réglée pour imiter l’effet d’une pluie sur le sol. A dose d'eau égale, une telle aspersion multiplie par trois la biomasse et augmente l'azote dans les moûts. »
Cet essai a intéressé Bastien Gaillardon, responsable R&D des domaines Gérard Bertrand, en Languedoc. « Pour humidifier plus le sol, nous avons décidé de multiplier par trois le nombre de goutteurs dans nos nouvelles plantations », indique-t-il. En contrepartie, il réduira la fréquence des apports, de façon à ne pas donner plus d’eau à la vigne. Il espère ainsi mieux soutenir la vie du sol.
Sur un des domaines de Gérard Bertrand, à Bizanet, dans l'Aude, la SRDV réalise depuis deux ans des mesures dans le cadre d'un essai de fertilisation en bio. « Nous suivons l'évolution de la biomasse microbienne au cours de la saison, note l'ingénieur. Avec les engrais organiques, il y a un pic d'activité entre mi-avril et mi-mai, alors qu'avec un compost dynamisé, l'effet est plus durable car la biomasse augmente progressivement jusqu'en juillet. ».
Au château Grand-Puy-Lacoste, à Pauillac, en Gironde, l'objectif est de mieux connaître les sols. « Un agronome a creusé des fosses pédologiques et réalisé des analyses physico-chimiques, relate Christel Spinner, la directrice Recherche et Développement. Mais il nous manquait des indicateurs sur l'activité biologique. » Pour combler ce manque, la SRDV réalise depuis deux ans ses analyses de biomasse et de rapport champignons/bactéries dans plusieurs parcelles. « Il faudra encore un an ou deux pour confirmer les résultats. Mais cela va nous aider à comprendre l'impact de nos pratiques et à les remettre en question si nécessaire, afin de transmettre aux générations futures des sols bien vivants. »
« Bactéries et champignons contribuent à l'évolution de la matière organique et à la stabilité structurelle des sols de façon différentes et complémentaires, détaille Lionel Ranjard, du laboratoire d'agroécologie de l'Inrae de Dijon, en Côte-d'Or. Pour que cet écosystème complexe soit équilibré, le ratio champignons/bactéries doit se situer entre 1 et 5 %. » Dans des sols forestiers acides, ce ratio atteint 10 à 15 %. « Ces niveaux permettent de stocker plus de carbone. Mais ils ne conviennent pas à la culture de la vigne », rappelle-t-il. Afin de bien appréhender l'écosystème d’un sol, il faut également mesurer la biomasse totale ainsi que sa biodiversité. « L'analyse et la caractérisation de l'ADN extrait du sol par la méthode PCR-séquençage permet d’obtenir facilement ces indicateurs. Et nous disposons d'un premier référentiel pour les interpréter, qui reste à affiner. »