Insupportable ! » Jean-Jacques Bréban, à la tête du négoce provençal les vins Bréban, président du syndicat français des vins mousseux, et ex-président du conseil interprofessionnel des vins de Provence, se montre passablement agacé lorsqu’il s’agit d’aborder les difficultés liées aux approvisionnements en bouteilles de verre. « Après une année 2022 catastrophique pour les approvisionnements en verre, nous pensions, sans vraiment trop y croire, que 2023 pourrait mieux se passer, mais nous voyons à nouveau que des commandes passées ont des chances de ne pas être honorées, ou dans des délais trop importants », reprend le négociant varois qui met en bouteilles 9 à 10 millions de cols chaque année.
Marquée par une augmentation générale d’une vingtaine de pourcents concernant le prix du verre, 2022 s'était distinguée par une visibilité plus que réduite sur les possibilités d’approvisionnements des bouteilles. « En 2022, nous ne pouvions avoir une visibilité supérieure à un mois concernant les prix du verre, avec des disponibilités compliquées. Nous avons choisi d’augmenter nos capacités de stockage sur les références le plus demandées par nos clients pour répondre à leurs besoins. En 2023, nous pourrons compter sur une visibilité à 6 mois pour le prix du verre, pour lequel il faut néanmoins compter sur une nouvelle augmentation en raison de la surcharge énergie », décrit le dirigeant de Concept Emballage Alexandre Latz.
Le chiffre de 30% d’augmentation du prix du verre en janvier 2023 est largement approuvé par la plupart des opérateurs ayant entamé leurs négociations. Luc Flache, directeur de la cave coopérative l’Estabel, conditionnant un million de bouteilles à Cabrières dans l’hérault, évoque « une variation de +25 à 40 % du prix des bouteilles selon les références ». Alors que plus de la moitié de sa production sort en bouteilles blanches, il se retrouve déjà acculé par une impossibilité d’approvisionnement de sa bouteille spécifique blanche en format flûte. « C’était déjà compliqué en 2022 pour cette référence qui représente deux tiers de mes bouteilles de vins rosé, et on nous annonce une impossibilité de livraison avant le 2ème trimestre cette année. J’ai du trouver une alternative avec une référence proche chez un autre fournisseur, mais à quel prix : 45% de plus que le prix déjà augmenté de 30% de 2023 de mon fournisseur habituel ! Mais je n’ai pas le choix, je dois fournir mes marchés et nous savons déjà que c’est la rémunération de l’adhérent qui pâtit de toutes ces contraintes. Je sais que c’est la même chose chez mes voisins », lâche le directeur de l’Estabel.
Il se sait chanceux de pouvoir être réactif grâce à son unité de conditionnement propre, mais pour ne pas perdre le fil de la production, lui et son équipe ont du travailler en anticipant la planification au maximum… et en stockant beaucoup de bouteilles vides. « Nous avons poussé les murs et le parc de stockage est 50% plus plein qu’auparavant, avec l’impact incontournable sur la trésorerie que constitue ce stock », reprend Luc Flache. Comme beaucoup, il a également dû basculer certaines références de la bouteille blanche vers de la teintée pour servir des marchés qu’il aurait autrement perdus. Non loin de là, sur les rives de l’étang de Thau, Cyril Payon, qui conditionne 11,5 millions de bouteilles dans sa cave de l’Ormarine, à Pinet, partage le constat. « Pour la logistique, notre équipe expérimentée arrive à s’en sortir en anticipant le plus possible la planification et en stockant du verre, ce qui affecte notre trésorerie de 240 000€ supplémentaires pour stocker l’équivalent de 850 000 bouteilles sur parc, soit un mois de production d’avance », décrit-il.


Malgré le volume brassé, il se sait exactement « dans la même situation que les autres concernant les prix, en étant pris dans l’étau avec ces 30% de plus du mois de janvier, c’est marche ou crève pour fournir nos marchés ! ». Grâce à la spécificité de la bouteille syndicale propre au Picpoul de Pinet, il a au moins la garantie de ne pas souffrir de rupture sur cette référence qui génère 4 millions de ses bouteilles produites. « Mais la faible visibilité sur les prix est insupportable. Quand je construis une offre commerciale, c’est un engagement pour au moins 10 mois, donc c’est encore sur le prix du vin que l’effort est reporté et c’est l’adhérent qui ne voit rien venir dans sa rémunération », enchaîne Cyril Payon.
Dans sa propriété girondine du château Pascaud, à Rions, Olivier Metzinger dit quant à lui « prendre les bouteilles qu’on daigne nous livrer ». Il indique n’avoir pas encore perdu de marché faute de bouteilles mais « il faut anticiper, s'adapter, s'organiser en repoussant les livraisons, accepter de changer de modèle de bouteilles ». Il stocke aussi des bouteilles pour assurer que la production du mois qui arrive puisse être conditionnée mais construit des offres commerciales « sans beaucoup de marge, en sachant pertinemment que l’on vendra à perte si le prix des matières premières augmente encore ».
La négociante Mathilde Boulachin, spécialiste de la production de vins désalcoolisés avec sa maison Pierre Chavin, évoque également « une planification industrielle catastrophique ». Ses marges commerciales sont nécessairement affectées et elle craint fortement pour la compétitivité de ses offres sur le marché export. « On ne peut pas refaire nos tarifs tous les mois ! » enchaîne également Jean-Jacques Bréban, particulièrement touché par la pénurie et les délais d’approvisionnement des bouteilles blanches, alors que 90% de sa production est du vin rosé. Sa position de négociant l’oblige également à décaler des achats de vin, ou à porter des stocks de vracs qui n’ont pu être mis en bouteilles. « Nous attendions des bouteilles blanches à vis cette semaine qui n’ont finalement pas été livrées. Le client m’indique qu’il reporte le marché de 6 mois, sans certitude mais c’est incompréhensible de travailler dans des conditions si compliquées alors que nous avons des volumes et une belle récolte », déplore-t-il. Il se dit également très inquiet que les instances le plus hautes ne réagissent pas plus que ça. « Au titre de président du syndicat français des vins mousseux, le ministère de l’industrie ne daigne pas nous répondre alors que des rendez-vous ont été sollicités et reportés. Notre filière ne peut pas être si dépendante des deux seuls verriers qui se partagent le marché », fustige Jean-Jacques Bréban.