e domaine Olivier Leflaive, à Puligny-Montrachet, en Côte-d'Or, a effectué une plongée sous ses vignes en octobre dernier. « C’était une première, raconte Bertrand Guillemaud, chef de culture de ce domaine de 25 ha. Nous avons creusé deux fosses pédologiques et fait appel à un géobiologiste indépendant pour les interpréter. »
Ces fosses ont été creusées dans le haut et dans le bas d’une parcelle de 30 ares de chardonnays, au sol argilo-calcaire. « Nous avons pu creuser à 3 mètres de profondeur en bas de la parcelle mais en haut, nous nous sommes arrêtés à un mètre car on atteignait la roche mère. »
Également en octobre de cette année, la Cave Anne De Joyeuse a fait creuser six fosses pédologiques réparties chez deux adhérents, dans deux types de sols. Guillaume Vaysse, responsable vignoble de cette coopérative de 3 000 ha et 350 adhérents à Limoux, dans l’Aude, détaille : « Trois fosses dans notre terroir méditerranéen, particulièrement sensible au changement climatique, et trois fosses dans une parcelle sur laquelle nous constatons des problèmes d’assimilation des éléments minéraux, alors que les analyses de sol montrent qu’il n’en manque pas. »
L’objectif du Domaine Olivier Leflaive était de mesurer l’efficacité de programme d'apport de matière organique mis en place « depuis une quinzaine d’années, par des apports de composts ovin et bovin avec ajout de paille », indique Bertrand Guillemaud. Il convenait pour cela d’observer la structure du sol, l’enracinement, la progression du système racinaire et la vie du sol.
Le résultat a été jugé concluant. « Nous avons constaté une bonne circulation et une bonne rétention de l’eau, malgré la sécheresse de cette année, rapporte Bertrand Guillemaud. L’enracinement est relativement profond, avec des racines secondaires jusqu’à 1,20 m, et un duvet de mycorhization sur les racines qui montre que la vie microbienne se fait bien. Le pH est assez similaire selon les différentes strates, de 7,2 à 10 cm à 7,5 à 150 cm. Cela indique une assez bonne homogénéité du sol sur la profondeur. »
À Limoux, « dans la parcelle qui présente des difficultés d'assimilation des éléments minéraux, deux fosses ont révélé une semelle de labour autour de 20 cm de profondeur, rapporte Guillaume Vaysse. On voyait nettement les racines du couvert partir à l’horizontale, notamment celles de la fausse roquette. En conséquence, dans cette parcelle, l’objectif sera de travailler le sol de 5 à 10 cm plus bas, de façon à casser cet horizon, plutôt que de miser inutilement sur davantage de fertilisants. »
À l’inverse, les fosses creusées dans la parcelle en terroir méditerranéen « ont révélé des sols drainants, alors qu’on les croyait assez tassés, révèle le responsable vignoble. Cela montre qu’il n’est pas nécessaire de faire du sous-solage de façon systématique et notamment sur cette parcelle. D’autant qu’à 40 ou 60 cm de profondeur, le sous-solage use le tracteur, le matériel, du gas-oil, et le chauffeur. »
Guillaume Vaysse précise qu'il faudra conforter les observations réalisées dans les fosses avec les résultats des analyses chimiques des sols, attendus courant décembre, avant de mettre en place des actions concrètes.
Le coût d’une fosse pédologique varie en fonction de sa mise en œuvre. Au Domaine Olivier Leflaive, « la journée a coûté environ 2 000 euros. Nous avons fait venir un entrepreneur local avec sa pelleteuse. Il a séparé les différentes couches du sol, ensuite analysées et mesurées par l’expert, qui consigne ses résultats dans un rapport ».
À la Cave Anne De Joyeuse, l’interprétation des six fosses s’est déroulée dans la journée, en présence d'un expert du laboratoire Celesta-lab, venu en outre dans le but de former un groupe de viticulteurs. Pour ce qui est des trous, « les deux viticulteurs concernés étaient équipés d’une mini-pelle, cela leur a coûté le gas-oil et le temps de main-d’œuvre ».
Selon Guillaume Vaysse, tout viticulteur est à même de réaliser une fosse et de l’interpréter par lui-même, à travers l’observation du système racinaire et des galeries de vers de terre. Bertrand Guillemaud pense toutefois qu’il est préférable de se faire accompagner d’un spécialiste, « pour voir la friabilité, la granulométrie, la texture, l’effritement du sol ». Il souhaite d’ailleurs faire revenir un expert l’an prochain, « pour se rendre compte de l’état des sous-sols sur d’autres secteurs de la Côte ».
Guillaume Vaysse est tout autant convaincu de l’importance d’étudier la santé du sol en profondeur. Selon lui, « mener une viticulture durable, c’est conserver des sols vivants à transmettre à nos enfants pour qu’ils puissent continuer à les exploiter ».
Thibaut Déplanche, DG de Celesta-lab, souligne quant à lui la nécessité de réaliser une fosse pédologique avant plantation, de façon à « élaborer le plan d’action, définir le type et la profondeur de travail du sol, le nombre de dents… afin de préparer au mieux la parcelle ».
C'est à l'occasion de la journée de lancement d'un programme de viticulture raisonnée pour les cinq ans à venir que la Cave Anne de Joyeuse a creusé des fosses pédologiques en octobre dernier. Une quinzaine d’adhérents ont participé à cette journée. Une restitution sera faite aux adhérents en février ou mars. « La fosse pédologique n’est pas une méthode novatrice, mais nous voulons montrer que son caractère scientifique permet d’adapter de façon pertinente le travail technique, établit Guillaume Vaysse, responsable du vignoble de l’Aude. Nous espérons que cet exemple fera boule de neige auprès des viticulteurs pour les convaincre de l’intérêt de réaliser des fosses." "D’autant, assure-t-il, qu’au vu de la hausse des charges d’exploitation, mieux on raisonnera le travail, mieux on s’en sortira.»