ésormais, Isabelle Perraud pèse ses mots avant de s’exprimer. « Tout ce que je dis ou écris peut être retourné contre moi », soupire cette vigneronne bio du Beaujolais. C’est en évoquant l’affaire pour laquelle elle est attaquée en justice qu’a débuté la table-ronde intitulée "En finir avec le sexisme dans les filières vin et bière", organisée sur le salon des vins bio et nature "Sous les pavés la vigne", à Lyon ce 5 novembre. « Je suis attaquée en diffamation par le vigneron Sébastien Riffaud pour avoir repartagé des posts concernant des comportements inappropriés qu’il aurait eu au Danemark et en Suède, et pour avoir repartagé, en la commentant, la tribune de soutien signée par de grands noms du vin », résume Isabelle Perraud, qui dit cependant avoir reçu le soutien écrit de nombreux vigneron(ne)s. Et il en faudrait plus pour réduire au silence le compte Instagram Paye ton pinard, animé par l’association éponyme qu’elle préside.
Après que Sébastien Riffaud ait déposé plainte devant le juge des référés, la vigneronne a obtenu avec son avocat que l’affaire soit renvoyée au fond, donc jugée dans toute sa complexité. Une audience est fixée le 6 décembre. « Ce n’est pas une affaire personnelle, insiste-t-elle. Je ne connais pas Sebastien Riffaud. » A ceux qui l’accusent d’utiliser son engagement féministe pour se mettre en avant, elle objecte qu’elle a plus à perdre qu’à gagner : « Plein de gens ont arrêté de travailler avec moi. Je dérange en étant une lanceuse d’alerte car il y a des choses dont on ne veut pas entendre parler. »


Anaïs Lecoq tire les mêmes conclusions de son enquête sur le sexisme dans la filière bière. L’autrice de Maltriarcat. Quand les femmes ont soif de bière et d’égalité (éditions Nouriturfu) s’en afflige : « Souvent les gens sont au courant et font comme si de rien n’était. Un salarié a un comportement inapproprié et c’est la victime qui démissionne. » Pourquoi n’y a-t-il pas systématiquement de plainte déposée ? « C’est une procédure lourde à l’issue souvent nulle, et qui se retourne toujours contre la victime accusée de vouloir nuire. »
Isabelle Perraud abonde : « Neuf plaintes sur dix sont classées sans suite, les autres aboutissent rarement à une condamnation. » Et par un curieux retournement de culpabilité, les victimes ont peur de « détruire la vie de leur agresseur ».
L’association Paye ton pinard, qui compte une cinquantaine d’adhérents et est ouverte à tous, veut donc agir en préventif. L’un de ses outils de sensibilisation est son compte Instagram, qui reçoit de nombreux témoignages de femmes exposées à divers degrés de comportements sexistes. Certaines confient en secret le nom d’un agresseur, pour être alertées s’il a fait d’autres victimes. Ce travail de sensibilisation vise aussi les témoins de dérives sexistes, pour qu’ils sortent de leur passivité. Isabelle Perraud cite l’écrivaine Virginie Despentes : « L’espace public est un lieu de chasse. Tous ne chassent pas mais tous laissent passer le chasseur. » Elle ajoute : « Parfois on devrait juste faire un croche-pattes au chasseur. »