'est un préjugé tenace chez les jeunes : la coopération serait « un milieu de vieux ». Angélique Neau, adhérente à la cave de Sauveterre (33) et présidente des Jeunes Vignerons coopérateurs de Nouvelle-Aquitaine, s'y heurte à chacune de ses interventions dans les lycées: « C'est faux, soupire-t-elle. La plupart des coopératives ont des commissions jeunes avec plein de projets. » Pour cette trentenaire qui élève seule ses deux enfants, la coopération offre quelque chose d'inestimable : du temps. « Être déchargée de la vinification et de la vente me permet de concilier travail et famille », affirme-t-elle.
Lorsqu'elle a repris 14 ha de vignes pour s'installer en 2016, Angélique Neau s'est associée à son père, déjà coopérateur avec 22 ha. « La cave s'est portée caution auprès de la Safer pour que je bénéficie d'un portage foncier, souligne-t-elle. J'ai aussi eu des avances de trésorerie en attendant mes premières rentrées d'argent. »
Angélique Neau (crédit photo DR)
Si le renouvellement des générations est assuré à la cave de Sauveterre, c'est loin d'être le cas dans les 600 et quelques caves coopératives de France. Pour maintenir leurs effectifs, elles misent de plus en plus sur les néovignerons, qu'il faut parfois aider à mettre le pied à l'étrier.
Chez les Vignerons de Puisseguin Lussac Saint-Émilion, le président Thomas Sidky se dit préoccupé par la pyramide des âges. Le prix des vignes freine les installations. Cette coopérative, qui compte 160 adhérents sur 850ha, a donc activé divers leviers : portage foncier avec la Safer, acquisition de vignes via des filiales pour les confier en fermage à des vignerons, ou encore création de groupements fonciers viticoles (GFV). « Un accord tripartite a été signé entre le GFV, le viticulteur et la cave, expose Thomas Sidky. Le viticulteur s'engage à livrer tous ses raisins à la coopérative, et celle-ci règle directement le loyer aux investisseurs, en nature ou en espèces, ce qui les sécurise. » La coop verse aussi des avances de trésorerie à tous les nouveaux installés. En effet, le paiement d'un millésime s'étale sur 48mois, ce qui garantit une rémunération régulière mais nécessite un solide fonds de roulement.
Coopérateur de père en fils, Thomas Sidky salue « l'état d'esprit » qui règne dans sa coopérative, et souligne « la force du collectif » qui offre une variété de services : conseils techniques à la vigne, appuis aux démarches de certification, formations à l'écoconduite? « Et pour rendre aux adhérents la fierté d'être coopérateurs, on leur permet de s'impliquer dans la vinification et la vente, poursuit-il. Une dizaine de châteaux et domaines sont déjà en vinification séparée. Et des adhérents vendent sous leur marque : ils participent à la sélection des assemblages, créent leurs étiquettes et achètent le vin qu'ils commercialisent eux-mêmes. »
En Côte-d'Or, la Cave des Hautes-Côtes a aussi cherché à pallier les difficultés d'accès au foncier en créant deux filiales. « Une SCI acquiert des parcelles et une SCEA les exploite en attendant de les confier à un coopérateur », détaille Chloé Marnier, chargée des relations avec les 80 adhérents. Au quotidien, cette coopérative offre d'autres avantages. « Les adhérents ont toujours quelqu'un pour répondre à leurs questions, que ce soit des salariés ou d'autres vignerons qui partagent leur expérience. Et personne ne perd son identité. Chacun, quelle que soit sa surface, peut s'investir et donner son avis. Certains organisent des dégustations. D'autres veulent participer à la vinification : on les embauche pour un contrat court. » À cela s'ajoute un système de rémunération, voté par les adhérents, qui lisse les aléas : au paiement de base mensuel s'ajoutent des compléments de prix au fur et à mesure des ventes, ce qui étale les paiements sur plusieurs années.
C'est cette stabilité des prix et la sécurité de débouchés qui ont poussé Charles Chambin à y adhérer. « Mes raisins sont pris quoiqu'il arrive », résume cet ancien technicien viticole, installé hors cadre familial sur 6 ha en 2020. Ayant gardé une activité extérieure, il apprécie aussi d'avoir du temps pour cela et pour sa famille. « Et j'ai l'esprit tranquille car la coop nous rappelle les tâches administratives que l'on risque d'oublier. »
Chez Les Vignerons du Pays d'Ensérune, dans l'Hérault, l'appui administratif aux 500 adhérents est clairement un point fort. Cédric Lopez, installé en 2019 sur 45ha en IGP Pays d'Oc avec un frère et un cousin, en témoigne: « Un expert foncier de la cave nous a aidés à trouver l'exploitation parmi les surfaces qui se libéraient chez les adhérents. Il a négocié le fermage avec le propriétaire et fait nos bilans prévisionnels pour la banque. On nous a aussi avancé 70 000 ? pour financer les premiers intrants et le fonds de roulement. »
Cédric Lopez (crédit photo DR)
Ce fils de viticulteur, dont les parents livrent à la même cave, adhère à 100 % à l'esprit coopératif. « J'aime l'esprit d'équipe, affirme-t-il. Et en déléguant la vinification et la vente, nous pouvons nous concentrer sur notre métier de base, la viticulture, pour être les meilleurs possibles. »
Au Cellier des Chartreux, dans le Gard, les 83 adhérents prennentde l'âge. « On a besoin de nouveaux talents, jeunes ou pas, issus du milieu ou non », lâche son président Christophe Novara. Pour en attirer, cette coop a créé une structure de portage du foncier, qui a acquis 50 ha de terres nues qu'elle est en train de planter, et a mis des parrainages en place.
Dans l'Aude, le président des Vignobles Cap Leucate tire la sonnette d'alarme. « On va vers une perte massive de vignerons, prédit Lilian Copovi. La récurrence des aléas climatiques, des incendies et des dégâts de gibiers conduit déjà à des abandons de vignes. » Installé sur 50ha, il a adhéré à la suite de son père en 1989, pour la sécurité et la souplesse de travail. « La cave continue à soutenir les installations avec des aides à la plantation, des avances de paiement, des cessions de parts gratuites, etc., énumère-t-il. Mais, aujourd'hui, beaucoup de vignerons déconseillent à leurs enfants d'exercer ce métier à titre principal. Ce n'est pas lié au modèle coopératif : tout le secteur souffre. »
Plus d’une déclaration de récolte sur deux émane d’un vigneron coopérateur. Leur proportion, assez stable depuis cinq ans, s’établit en 2021 à 56 % d’après les Douanes. La coopération est particulièrement ancrée dans l’Aude, les Bouches-du-Rhône, le Gard et l’Hérault, ou plus de quatre déclarants sur cinq sont coopérateurs. À l’inverse, certains territoires n’ont pas cette culture : en Charente, Côte-d’Or et Loire-Atlantique, la proportion de coopérateurs est inférieure ou égale à 5 %.