Sauf catastrophe climatique, des volumes importants de raisins rouges ne seront sans doute pas ramassés lors de la prochaine récolte ». Le pronostic du courtier australien Jim Moularadellis, directeur du cabinet Austwine, est sans équivoque. L’an dernier, les exportations ont chuté de 17 % en volume et de 30 % en valeur et la récolte 2021 a atteint son niveau le plus élevé depuis 2006. Même s’il est trop tôt pour avancer des estimations de production pour cette année, le phénomène La Nina a apporté des pluies abondantes pendant deux étés consécutifs.
« Les fortes précipitations se traduisent par une abondance d'eau en réserve, même actuellement, au plus fort de l'été australien. Cela laisse présager des récoltes abondantes cette année et l'année prochaine », affirme le courtier australien, qui prédit que certains viticulteurs devront laisser des cépages blancs sur pied aussi, s’ils ne parviennent pas à obliger les acheteurs à prendre des raisins rouges avec les blancs. « C’est la première fois depuis plusieurs années que des raisins ne seront pas ramassés », déplore-t-il.
Frappée par la « loi de Murphy », la filière a peiné à assurer ses approvisionnements après deux petites récoltes, en 2019 et 2020, pour se retrouver désormais avec des stocks considérables. En effet, fin juin 2021, il était estimé que plus de 2 milliards de litres de vins se trouvaient dans les cuves australiennes, soit 24 % de plus que l’année précédente. La faute à la Chine. Les exportations australiennes vers l’Empire du Milieu ont dégringolé en 2021, perdant 9 3% en volume et 97 % en valeur en conséquence de taxes punitives. S’y ajoute la crise mondiale de la chaîne logistique : l’Australie ne représente qu’un pourcent du flux de conteneurs au niveau mondial et se trouve à la merci des grands acteurs internationaux. Sans parler de l’effet de balancier provoqué par la constitution de stocks sur des marchés clés comme les Etats-Unis et le Royaume-Uni. Covid et Brexit obligent.
Ces trois facteurs majeurs auront une incidence indéniable sur la manière dont les producteurs abordent les prochaines vendanges, et tentent de vendre les raisins qui ne sont pas sous contrat. « Même les acheteurs qui étaient peu exposés directement à la Chine sont touchés, car la perte de ce marché a impacté l’ensemble du secteur », explique Jim Moularadellis. Résultat : « Les prix des raisins ont baissé en 2022, pour la deuxième année consécutive. Globalement, les baisses de prix en 2021 étaient faibles, donc beaucoup de producteurs de raisins ont vécu dans une bulle. Ils ne se sont rendu compte de la difficulté de la situation que lorsqu’ils ont essayé de vendre des raisins hors contrat avant la récolte 2022 ».
Prévoyant de nouvelles baisses de prix – plus limitées – en 2023, le courtier ainsi que d’autres analystes, ne voient pas le bout du tunnel pour la filière australienne. Les exportations en 2021, qui totalisaient 619 millions de litres, représentent un retour à la case de 2004. « Il faudra du temps pour compenser la perte des échanges avec la Chine continentale », reconnaît Rachel Triggs, directrice des affaires institutionnelles auprès de Wine Australia. « Cela ne se passera pas du jour au lendemain, ni même en une année ».
De là à prédire l’exode massif de viticulteurs, il n’y a qu’un pas que Jim Moularadellis ne franchit pas : « La plupart des producteurs sont très professionnels et ont profité de plusieurs années caractérisées par une belle rentabilité. Contrairement au boom des exportations dans les années 1990, très peu de "capitaux fébriles" provenant des grandes villes ont alimenté le secteur vitivinicole ces dernières années, donc moins d’acteurs recherchent un retour rapide sur investissement ». C’est tant mieux parce que la crise diplomatique avec la Chine est loin d’être terminée, et la diversification des marchés – tout en étant bien entamée – ne portera pas ses fruits avant un bon moment.