Egmont Labadie
Le 28 janvier 2022 à 15:05:18
Bonjour Marion, bravo pour le travail fourni depuis tant d'années, et bon vent pour la suite !
Au sujet de la presse du vin, de mon expérience de journaliste-dégustateur (qui a duré de 2002 à 2014), quelques réflexions. D'une part la presse du vin subit la crise générale du modèle économique de la presse, qui ne date pas d'hier. De toute façon l'équilibre économique de la presse est toujours complexe, et le métier de journaliste est connu pour être le plus défavorable en termes de rapport entre qualité du travail-compétences de la personne, et rémunération. On ne rentre pas dans le journalisme pour être riche ! Parfois par contre il y a des gens qui rentrent dans le capital de journaux pour faire du profit, ce qui est invariablement défavorable à la rémunération des journalistes et à la qualité de l'information. C'est pour ça qu'il existe quelques médias indépendants, dans la presse du vin Le rouge et le blanc ou In vino veritas, qui sont faits par des journalistes et pas par des actionnaires qui demandent avant tout un taux de profit. Il en faudrait plus, mais c'est plus facile à dire qu'à faire...
Pour les médias plus grand public, qui ont besoin d'un groupe important pour assurer une diffusion importante, se pose cette question de rentabilité, qui pousse à vouloir employer le plus possible et payer le plus bas possible les journalistes les plus précaires (sans CDI) et qui oblige à ramener beaucoup de revenus publicitaires. Donc là, l'info sur le vin perd du terrain devant la logique financière. Et en particulier, ceci pose plusieurs problèmes :
-d'une part, il se produit automatiquement un lien entre les intérêts des annonceurs (entreprises du vin) et la politique éditoriale des journaux. C'est pour ça que le vignoble du Languedoc, qui produit tellement de pépites depuis tant d'années, a mis aussi longtemps à se faire une place dans le Panthéon des amateurs du vin. Heureusement qu'il y a eu la passion de journalistes comme ceux de Terre de vins pour changer les choses ;
-d'autre part, les journalistes entrent et sortent de la presse du vin sans avoir forcément une grosse culture vin, c'est donc difficile pour eux de dire autre chose que ce que la communication des annonceurs désire ;
-enfin, l'absence de moyens financiers pour travailler sérieusement oblige les journalistes à être en permanence en position de demandeur vis à vis des mêmes annonceurs : ça veut dire, demander systématiquement l'envoi de bouteilles gratuites pour le dégustations comparatives (une habitude qui dans la presse des restaurants est considéré comme un grave défaut) et faire financer les reportages systématiquement ou presque par les producteurs. En gros un journaliste du vin n'achète quasiment jamais de vin et ne peut jamais se faire rembourser de frais de reportage...
En conséquence, la plupart des journalistes sont contraint.e.s à une absence quasi totale d'indépendance financière vis à vis de la production, et ont perdu le contact avec la réalité du rapport qualité-prix du vin.
Dans mon cas, j'avoue que, après quelques années dans le système, comme je recevais une quinzaine de bouteilles de vin gratuites par semaine, je n'achetais quasiment plus jamais une bouteille, et je ne jurais plus que par des vins de plus en plus chers. Par exemple j'étais accro aux grands champagnes à plus de 100 euros la bouteille.
Inutile de dire que quand j'ai quitté tout ce monde et ce mode de fonctionnement (à cause de problèmes de santé), j'ai été obligé de me contenter un peu plus souvent de petits vins pas prétentieux...Petits vins pas prétentieux qui n'existent quasiment pas dans la presse du vin, puisque les gens qui produisent ces vins ne font quasiment pas de communication.
On pourrait tirer de tout ça beaucoup de conclusions hâtives et démagogiques, je ne le ferai pas parce que le monde est complexe, mais il me semble qu'il y a un problème d'équilibre dans ce modèle.
Par ailleurs, pour ne rien simplifier, le vin est un monde très atomisé, avec rien qu'en France plus de 100 000 producteurs, et à l'échelle mondiale des millions d'étiquettes, renouvelées chaque année par la valse ininterrompue des millésimes.
Donc en fait, peut-être que l'erreur à la base est de croire qu'on peut produire une information exhaustive, objective, sur tout le vin. Sur un vin, oui, mais sur la totalité, non. On ne pourra jamais parler que d'une part de la réalité dans ce domaine.
C'est pourquoi à mon sens internet est le meilleur média pour le vin, parce qu'il a en lui la même atomisation que le vin lui-même. Pour la plupart des gens, il sera plus utile de chercher de l'info pratique et concise pour les aider à l'achat le moment venu, que d'accumuler des magazines et des guides sur la question. Et puis internet permet aussi à des gens qui ont un goût particulier de parler à des gens qui ont le même. Il y a des gens qui adorent le vin nature, d'autre pas, il y a des gens qui adorent les vins élevés en fûts, d'autre pas, certain.e.s adorent le blanc, d'autres sont beaucoup plus rosé...Tous les goûts sont dans la nature, et les facteurs culturels et de mode sont très nombreux également. Il ne peut pas y avoir de dogme. Et malheureusement les gens qui dirigent les médias du vin sont souvent assez dogmatiques, ils ont un goût fixé dans leur personne, et pensent souvent que c'est le seul valide, alors que le goût se structure d'une façon spécifique pour chaque personne, avec aussi une forte composante générationnelle.
Donc pour correspondre à toute cette multiplicité, rien de tel qu'un média accessible de partout, avec des contenus faciles à produire par beaucoup de gens, et actualisable pour tenir compte des multiples nouveautés. Sachant que dans le même temps, certaines informations (la géologie des appellations par exemple) ne changent jamais, et qu'il ne sert à rien de réécrire tous les ans le même article sur les terroirs argilo-calcaires de Saint Emilion...
Finalement, peut-être que ce qui serait intéressant dans ce domaine, ce seraient des médias web, avec des parties de savoir de base oenologique, bien écrites, compréhensibles, destinées à rester longtemps en ligne ; des articles un peu plus axés sur la vie des vignobles, les grands acteurs, les pionniers, les gens qui font bouger les choses ; des articles d'esthètes du vin sur leurs coups de coeur, mais sans viser à l'exhaustivité, et si possible écrits de manière indépendante, sans trop devoir à la production ; et puis des parties consacrées aux vins eux-mêmes, aux bouteilles dans toute leur diversité, mais qui là seraient ouvertes au public qui donnerait ses appréciations, un peu comme sur Tripadvisor. Les producteurs pourraient même y avoir accès pour mettre en ligne de l'info technique, indiquer les nouvelles cuvées, dire où on les trouve, voire discuter avec le public... Ce qui n'obligerait plus les journalistes à tenter de faire des dégustations exhaustives à chaque millésime sur la pléthore de vins existants, mais permettrait plutôt de donner des nouvelles des producteurs, des tendances, conseiller pour les achats...
Voilà, ce ne sont que quelques pistes...Bon appétit et large soif, comme disait Paul Bocuse, et encore tout le meilleur Marion !
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