es petites exploitations les plus touchées
« L’histoire est jalonnée de 5 grandes extinctions et nous nous précipitons vers la sixième », a posé, sans ambages, le professeur Dr Hannes Schultz, président de l’université de Geisenheim et directeur du groupe Environnement à l’OIV, en préambule à la présentation de l’enquête vendredi dernier à Geisenheim. Commanditée et menée en collaboration avec Prowein, celle-ci a été réalisée en juin 2019 en ligne auprès de plus de 1 700 professionnels dans 45 pays et s’inscrit dans le cadre du désormais traditionnel Business Report du salon. Objectif : mesurer l’impact du changement climatique sur le secteur au cours des cinq dernières années, et identifier la manière dont la filière anticipe les conséquences de ce changement durant la décennie à venir. Englobant les pays producteurs européens et ceux du Nouveau Monde, l’enquête a intégré aussi bien l’amont que l’aval de la filière. Les réponses montrent clairement que ce sont les petits producteurs et dans une moindre mesure les coopératives - dans l’incapacité de délocaliser leur activité et d’atténuer l’impact du changement climatique sur le plan financier et technique - qui sont les plus directement et durement impactés. A contrario, plus on avance vers l’aval de la filière et moins les conséquences sont ressenties. Ainsi, si 92% des petites caves affirment avoir observé les effets du changement climatique sur leur activité au cours des cinq dernières années, ce pourcentage tombe à 58% dans le secteur CHR. L’hétérogénéité en termes d’impact actuel explique sans doute la raison pour laquelle seuls 50% des acteurs de la filière perçoivent le changement climatique comme une menace importante pour leur entreprise, contre 61% pour les politiques de santé (augmentation des taxes et instauration de prix minima) et 55% pour le ralentissement économique. A noter que les guerres commerciales représentent une menace et un défi pour 40% des répondants. Cela, alors que la probabilité d’un impact du changement climatique sur leur entreprise est attendue par 73% des professionnels interrogés, en tête de tous les événements jugés probables.
Plus de la moitié des producteurs de raisins et de vins ont vu leurs rendements baisser au cours des cinq dernières années à cause des événements météorologiques extrêmes, d’une plus grande volatilité des rendements et d’une pénurie d’eau. Résultat : la moitié des caves – petites et grandes – estime que les prix des raisins et du vin sont caractérisés par une plus grande volatilité, même si les pires effets ont pu être atténués jusqu’à présent par des modifications de pratiques culturales et de techniques œnologiques. Néanmoins, une coopérative ou winery/embouteilleur sur deux prévoit une baisse de sa rentabilité à cause du changement climatique au cours des dix prochaines années, ce qui pourrait les enfermer dans un cercle vicieux. De leur côté, les exportateurs ont répondu aux fluctuations en amont en resserrant leurs liens avec la production (44%) ou bien en changeant de fournisseurs (48%). Plus en aval encore, plus d’un détaillant sur deux a observé une évolution au niveau des caractéristiques sensorielles des vins, sans être impacté – encore – au point de changer de fournisseur ou de pays d’origine (10% seulement l’ont fait).
Les producteurs étant déjà fortement exposés aux conséquences du changement climatique, ils ne s’attendent pas à ce que cette exposition s’aggrave sensiblement au cours de la décennie à venir. En revanche, ils prévoient une augmentation des besoins en matière de produits phytosanitaires et un plus grand recours à des cépages plus adaptés aux nouvelles conditions climatiques ; un producteur sur trois affirme qu’il sera nécessaire de se tourner vers ces cépages d’ici 2030. « La difficulté pour les producteurs, c’est qu’ils doivent non seulement préserver le profil actuel des vins, mais également s’orienter vers les vins plus légers et plus frais que recherchent les consommateurs dans le contexte d’un climat plus chaud », a affirmé le Dr Simone Loose de l’Université de Geisenheim, pointant par ailleurs la capacité d’autres boissons à répondre à cette demande. « Certains styles de vins sont déjà délaissés sur les linéaires ». Au fur et à mesure que l’impact du changement climatique évolue de l’amont vers l’aval de la filière, celle-ci se verra contrainte de modifier encore ses méthodes de travail, et ses réglementations, et de faire supporter par les consommateurs une partie des coûts supplémentaires y afférentes. C’est là que le bât blesse de nouveau : « Nous ne pouvons pas supposer que les consommateurs vont accepter les augmentations de prix à l’avenir, car leur revenu disponible n’aura pas forcément augmenté », pose le Dr Loose. Côté production, les adaptations au changement climatique, et améliorations en termes de développement durable, impliquent quasiment toutes des ressources financières supplémentaires, faisant dire à la chercheuse : « Seuls ceux qui auront accès aux financements réussiront à faire face au changement climatique ».
*Le changement climatique sera placé au cœur des tendances abordées lors de la prochaine édition de Prowein prévue du 15 au 17 mars 2020