L’effervescence est un processus universel » explique Gérard Liger-Belair, professeur de l’équipe effervescent Champagne et applications au GSMA, UMR et CNRS de Reims et médiateur de la journée qui s'est tenue le 18 octobre. Ce caractère multidisciplinaire des bulles, le professeur a souhaité la mettre en avant sur des sujets techniques, en faisant intervenir une autre boisson à mousse, la bière, mais surtout en présentant des sujets de chercheurs physiciens et astrophysiciens. Des travaux un peu éloignés de l’œnologie mais qui trouvent leurs sens lorsqu’on les compare à l’effervescence du Champagne.
« Oui et non » répond le Dr. Lr. Sylvie Deckers, responsable production et projets de recherche de la brasserie d’Orval en Belgique. L’élaboration est similaire puisque le champagne est réalisé grâce à deux fermentations, la première sous cuve et la deuxième en bouteille, comme la bière. Le CO2 formé aura lui aussi son importance. Comme pour les effervescents, le CO2, en s’échappant de la bouteille de bière, va emmener avec lui des particules qui vont former la mousse.


« Mais contrairement au Champagne, la bière possède beaucoup de protéines, ce qui va former davantage de mousse » explique la responsable. « Il y a cent fois plus de protéines dans la bière que dans le champagne » confirme Bertrand Robillard, directeur R&D de l’Institut œnologique de Champagne. Comme dans le vin, la bière subit aussi des contaminations notamment lors de la première fermentation de la bière, ou gushing. Si le malte d’orge est contaminé, il peut se former des protéines appelés hydrophobines. « Elles vont s’agglutiner entre elles et former un patch » détaille Sylvie Deckers « Les bulles de CO2 vont emmener ces patchs vers la surface et cela va former un film puis une mousse abondante ».
On observe le même effet des protéines sur le champagne, à quelques détails près. Le peu de protéines présentes participent à la stabilisation de la mousse à la surface du verre. « Seulement le CO2 du Champagne, beaucoup plus présent, va permettre à la mousse de disparaitre rapidement. Aussi, au-delà 8% d’alcool, la mousse devient de moins en moins stable » complète Bertrand Robillard.
Thomas Séon, physicien chercheur au CNRS de Paris, a quant à lui comparé l’effervescence du champagne à celle de l’océan. « Un milliard de milliard de bulles explosent chaque seconde à la surface de l’océan » introduit le chercheur « Ces bulles vont jouer un rôle crucial dans les échanges entre l’océan et l’atmosphère puisqu’elles vont former des gouttelettes qui vont être évaporées et intégrées dans le cycle de l’eau ». Pour le champagne, les microgouttelettes issues du dégazement participent à la libération des arômes dans le verre. Selon la taille des gouttelettes, l’effet ne sera pas le même. Plus la bulle est large, plus les gouttelettes sont grosses et moins nombreuses, libérant donc moins d’arômes dans le verre. « La viscosité du liquide rentre également en compte »


précise Thomas Séon. En général, l’augmentation de la viscosité ralentit la formation de gouttelettes et n’en forme plus au-delà de dix fois la viscosité de l’eau. « Pour le Champagne, dont la viscosité est supérieure à celle de l’eau, l’augmentation de viscosité augmente le nombre de gouttelettes et leur vitesse » explique le chercheur. Sa viscosité va également varier selon sa température. Plus le Champagne est à basse température, plus il est visqueux. Ce qui explique un service frais, mais pas trop, pour que les arômes s’expriment. « La prochaine étape sera de travailler sur l’aspect collectif de ces bulles, voir comment elles cohabitent » conclut Thomas Séon.
Direction Saturne et ses anneaux. « Plutôt sur ces satellites Titan et Encelade » précise Daniel Cordier, astrophysicien et chercheur au CNRS de Reims, spécialité surfaces planétaires.
Titan est le plus gros des soixante satellites de Saturne. « Il est similaire à la taille de la Lune » explique le chercheur. En 2007, la mission Cassini a découvert des océans d’hydrocarbures, de méthane et d’éthane, à la surface de Titan. « Mais surtout le plus surprenant, c’est que l’on voyait apparaître et disparaitre des surfaces d’environ 100 km dans une des mers. Elles sont donc joliment nommées Magic Islands ». Mais pour les scientifiques, pas de magie. C’est en 2017 que l’hypothèse se confirme. « Il y a un dégazage de bulles de diazote dans la mer que le radar détecte comme une surface » explique Daniel Cordier. Tout comme son homologue Titan, le satellite Encelade, beaucoup plus petit, réalise des petites effervescences.


« Ce satellite est une croûte de glace géante dans laquelle est emprisonnée de l’eau souterraine. Encelade est chauffée par Saturne par des effets de marée et de l’hydrogène éclate à la surface du satellite, formant des geysers » explique Daniel Cordier. Un site éventuel pour la vie ?
« Le dégazage et l’effervescence nourrissent donc plusieurs sciences » conclut Gérard Liger-Belair à l’issu de la matinée. « Après 20 ans à son service, elle ne finira jamais de m’étonner ».