André Baniol : Nous sommes à un moment de modification drastique des réglementations de production en France (même si elle découle plus d’une fantasmagorie idéologique que de réalités scientifiques). Face à ces restrictions concrètes, les viticulteurs ne sont pas égaux. Car il existe de grandes différences entre les sols, les microclimats, mais aussi et surtout entre les orientations économiques et commerciales. La plupart des vignobles classés en AOP, et ceux qui sont engagés dans de brillantes réussites commerciales en France ou à l’export (souvent avec des IGP de petite zone), semblent pouvoir s’adapter techniquement et financièrement à ces nouvelles normes. Il n’en va pas de même pour les vignobles fournisseurs des marchés de vrac IGP ou sans indication géographique, qui doivent continuer à obtenir des rendements suffisants en maîtrisant leurs coûts de production.
La réduction permanente des produits phytosanitaires utilisables et des doses maximales vont conduire de nombreux vignerons à des impasses techniques et économiques. Il ne faut pas rêver. Toutes les surfaces ne peuvent pas s’orienter sur les marchés des vins haut de gamme à petit rendement. Il faut donc offrir une porte de sortie financièrement honorable avec le rétablissement d’une prime à l’arrachage définitif.
Votre proposition vise donc à sortir de l’impasse les vignerons proches de la retraite et éloignés de toute perspective de reprise ?
L’adaptation à cette viticulture pauvre en solutions phytopharmaceutiques demande des investissements colossaux en matériel (travail du sol, appareils de traitement), mais aussi des plantations en cépages résistants, qui sont insupportables et de toute façon antiéconomiques, pour des exploitants proches de la retraite. Pour ceux arrivant en fin de carrière, cette prime à l’arrachage pourra être une solution globale pour tout le vignoble dans les villages où il n’y a aucun repreneur.
Se pose la question de la transmission des exploitations viticoles lorsqu’il n’y a pas de reprise dans le cadre familial. L’exploitant sortant doit pouvoir valoriser son capital vignoble pour faire face à l’indigence de sa pension de retraite. Mais aucun système, que ce soit l’acquisition par achat ou la location par fermage n’est économiquement viable dans un contexte où le nouvel exploitant devra de toute façon remplacer son vignoble par des cépages résistants. D’ailleurs même la transmission dans le cadre familial ne reste supportable que par les « cadeaux » que le sortant peut faire sous forme de travail bénévole notamment.
Mais il ne s’agit pas seulement de permettre à certains de sortir du jeu parce que l’application des nouvelles contraintes leur est insupportable financièrement ou aléatoire techniquement, mais aussi de protéger ceux qui resteront. C’est le recours à un nouveau contingent d’arrachage primé qui permettra de passer ce cap sans laisser personne au bord de la route.
La prime à l’arrachage que vous préconisez ne serait pas seulement une prime à la fin d’activité ?
La prime d’arrachage définitif est un outil bénéfique à la diversité des situations d’exploitation. Dans la plupart des cas, la possibilité pour le sortant de percevoir un capital sur une partie du vignoble facilitera la transmission. Non seulement des terres ainsi libérées, mais aussi d’une autre partie du vignoble sélectionnée pour ses potentialités naturelles, ou pour l’existence de débouchés rémunérateurs.
Pour tous les exploitants en monoculture viticole, le recours à l’arrachage primé sur une partie du vignoble permettra non seulement de rationaliser la performance de l’atelier viticole, mais aussi de s’ouvrir à la biodiversité. Ce qui est demandé pour obtenir le label Haute Valeur Environnementale (HVE). L’arrachage primé peut également permettre de consolider l’exploitation par un atelier de diversification en circuit court. Avec au passage, un petit capital permettant les investissements matériels nécessaires. Enfin, dans les situations les plus favorables, cette prime permettrait de ramener la taille de l’atelier viticole autour de la quinzaine d’hectares. Une surface pour lesquels une Unité de Travail Humain (UTH) peut faire face raisonnablement à une conversion en bio. Ce peut-être aussi l’occasion de créer des « ceintures vertes » autour des villages.
« Je n'ai pas quitté le syndicalisme majoritaire après quarante ans pour me cantonner dans le"syndicalement correct" » prévient André Baniol. Ayant présidé dans les années 1980 le groupe vin du Centre National des Jeunes Agriculteurs (1986-1988), puis le syndicat unique viticole du Gard et le syndicat viticole du Duché d’Uzès, le militant a quitté en 2018 la Fédération Départementale des Syndicats d’Exploitants Agricole du Gard (FDSEA 30) pour rejoindre la Coordination Rurale du Gard (CR 30), dont il était la tête de liste lors des dernières élections à la Chambre d’Agriculture départementale.