l s’en est fallu de peu qu’Emmanuel Macron zappe le pavillon des vins lors de sa visite du salon de l’agriculture à Paris, le 23 février. Vers 19 heures, des membres de son équipe débarquent pour prévenir qu’il ne viendra pas. « Il a trop de retard », expliquent-ils aux responsables professionnels qui patientent depuis 16 heures, l’heure initialement prévue du passage du président de la République.


« Nous sommes première filière agricole française en valeur, il n’est pas question qu’il ne vienne pas », s’emporte Jérôme Agostini, directeur du Cniv (comité national des interprofessions viticoles) à la surprise de son entourage. Mais son coup de sang porte ses fruits. Quelques échanges radio plus tard, la venue d’Emmanuel Macron est confirmée.
Il est 21 heures quand il arrive enfin, regrettant son retard. « Cela nous a permis de suivre les matchs de rugby de la France et de l’Angleterre », plaisante Jérôme Agostini. « Et quels sont les scores ? Personne ne m’a rien dit », répond le président. « La France a gagné, l’Angleterre a perdu ». Mais pas question de commenter les matchs, direction l’intérieur du stand.
Dès qu’Emmanuel Macron est installé, Jean-Marie Barrilère, président du Cniv, passe aux choses sérieuses. « Notre filière dégage un chiffre d’affaires de 30 milliards d’euros dont 13 milliards à l’export. Notre avenir passe par l’export. Or pour exporter au sein de l’Union européenne, il faut avoir un représentant fiscal dans chaque pays. C’est une complication pour les vignerons », explique-t-il.
Le président écoute, cherche à comprendre et demande à sa conseillère agricole de retenir ce qui vient d’être dit. En face de lui, le sommelier Etienne Laporte l’invite à une première dégustation : un vacqueyras blanc du domaine la Fourmone. « C’est une trouvaille, raconte-t-il. Vacqueyras est une appellation de rouge. Ce blanc est produit sur un terroir qui donne une grande finesse au vin. »
« Quel cépage ? » demande Emmanuel Macron. « C’est de la roussanne, un cépage de la Drôme, mais c’est un pur hasard », répond Etienne Laporte en regardant le ministre de l’Agriculture, Didier Guillaume, élu de ce département. Comme tous les ans, le sommelier a choisi des vins en rapport avec ses invités.


Fin de l’intermède. Jean-Marie Barrilère reprend la parole. Cette fois, c’est pour regretter l’interdiction d’introduire une clause de réserve de propriété dans les contrats interprofessionnels et l’impossibilité pour les interprofessions de fixer des délais de paiement supérieurs à un an. La DGCCRF s’y oppose. « [Elle] estime qu’au-delà de 12 mois, c’est trop long », souligne Jean-Marie Barrilère pour qui ces dispositions devraient figurer dans les contrats pluriannuels. « Comment peut-on régler cela ? Par une circulaire ?» demande Emmanuel Macron à son entourage. Pas de réponse claire.
Jean-Marie Barrilère poursuit en justifiant la demande de délais supérieurs à un an : « cela permet de partager entre le producteur et le négociant l’investissement pour aller à l’export. La clause de réserve de propriété apporte la garantie pour le producteur qu’il sera payé. »
Puis il embraye sur un autre sujet. « Quand une grande surface fait une opération sur un côtes-du-rhône ou un bordeaux à 1 €, elle prend en otage une appellation pour faire venir le chaland ». Pour le président des interprofessions, ces initiatives devraient tomber sous le coup de la réglementation contre les prix abusivement bas.
A nouveau, Emmanuel Macron acquiesce et se tourne vers son entourage à la recherche d’une solution. « Il faut passer par un décret ? » demande-t-il. « On ne s’emballe pas, lui répond le ministre de l’Agriculture. Il faut voir les conséquences de tout cela pour l’ensemble des filières ». Fin du sujet.


Au tour de Jérôme Despey de parler. Le président du conseil des vins de FranceAgriMer commence par rappelle que la profession veut maintenir le programme d’aide à la viticulture après la réforme de la Pac. « On ne veut pas de DPB », indique-t-il. Une affaire entendue.
Puis il revient sur le discours d’Emmanuel Macron, le matin même, devant de jeunes agriculteurs. « Je n’ai qu’un regret, M. le président : vous n’avez pas abordé le sujet de la sécheresse et des retenues collinaires. C’est un enjeu majeur. »
Emmanuel Macron : « je suis entièrement d’accord avec vous. Nous allons simplifier les règles pour décider plus vite [de la construction de ces retenues]. » « Cela a été annoncé dans la deuxième phase des assises de l’eau », ajoute Didier Guillaume.
Puis vient le buzz de la journée : la phrase d’Emmanuel Macron lors de son discours du matin : « je pense que nous pouvons faire du vignoble français le premier vignoble au monde sans glyphosate ». Dès que Jérôme Despey l’évoque, les commentaires fusent. C’est le brouhaha.
Jérôme Despey peine à poursuivre. Mais il y arrive. « [Un vignoble sans glyphosate]… sauf Côte Rôtie et Condrieu, finit-on par comprendre. Dans les vignes en forte pente et dans les vignes en terrasses, le travail du sol va créer de l’érosion. » Si la presse généraliste n’a rien saisi de cette difficulté, le président de la République l’a bien comprise. Sa conseillère agricole nous explique en aparté : « On va abandonner 85 % des usages du glyphosate. Les 15 % qui restent correspondent à des impasses : ce sont les vignes en pente et l’agriculture de conservation des sols ». L’herbicide sera maintenu dans ces deux cas.


Malgré la dissipation des troupes, Jérôme Agostini impose un autre sujet. « L’Alsace est devant l’autorité de la concurrence. Les Côtes du Rhône ont été sanctionnées », explique-t-il. Les ODG de ces deux régions ont fait des recommandations de prix. L’autorité de la concurrence considère qu’il s’agit d’ententes. Une analyse que réfute la filière. Mais Emmanuel Macron n’écoute plus vraiment. Il est 21 h 30. Son entourage lui a déjà fait remarquer plusieurs fois qu’il est attendu ailleurs.
Mais pas question qu’il parte sans avoir dégusté un autre vin. Etienne Laporte a choisi un corton-renardes millésime 2011, un grand cru du domaine Maillard père et fils. Un vin à son image, allons nous comprendre. « Ce vin est un oxymore : il est à la fois jeune et déjà évolué. Il est fin et élégant, mais on en perçoit assez vite la densité et l’épaisseur ».
Emmanuel Macron n’écoute qu’à moitié. Il veut dresser une synthèse de sa venue. « L’export en Europe et la pluriannualité des contrats, on va y regarder de près », promet-il aux responsables professionnels ravis de son passage et impressionnés par sa disponibilité à la fin d’une journée si chargée.