Trois années de sécheresse ne seront pas passées inaperçues en Afrique du Sud, se soldant par une récolte particulièrement basse de 9,5 millions d’hectolitres en 2018 (-12 % par rapport à 2017). Mais la pluviométrie affiche meilleure mine depuis les vendanges 2018, et devrait permettre cette année de remonter la pente, toutes proportions gardées. « La récolte de raisins de cuve en 2019 devrait être légèrement supérieure à la production très faible de l’an dernier », a observé François Viljoen, responsable des services de conseil chez Vinpro, organisateur de la 14ème journée d’information Nedbank qui s’est tenue la semaine dernière au Cap. Néanmoins, l’impact de la sécheresse continue à se faire sentir et s’est conjugué à des conditions climatiques difficiles pendant la nouaison et à la diminution des superficies viticoles pour limiter l’effet rebond. En effet, en 2018, les superficies arrachées sont restées supérieures aux plantations, en raison du manque de rentabilité du secteur.
Le vin en vrac moins cher que l’eau en bouteilles
Notant qu’il y a encore des producteurs sud-africains qui vendent du vin en vrac aux grossistes locaux et aux importateurs, « moins cher que de l’eau en bouteilles », soit entre 30 et 35 cts le litre, le président de Vinpro Anton Smuts a insisté sur le fait que « nous ne pouvons pas assurer notre pérennité à ces prix de vente ». Pour sa part, Christo Conradie, responsable des caves chez Vinpro, a noté l’augmentation annuelle de 7,4 % des coûts de production depuis dix ans, à comparer à des prix de vente qui stagnent. « Jusqu’à récemment, plus de 80 % des producteurs sud-africains géraient leur exploitation à des niveaux inférieurs au seuil de revenu net jugé suffisant pour en assurer la pérennité, c’est-à-dire 30 000 rands/ha [1 900 euros] ».
Cependant, le manque de disponibilités entre 2017 et 2018 au niveau mondial a apporté une bouffée d’oxygène au secteur sud-africain, lui permettant de revaloriser ses prix. « 2018 était une année ardue », reconnaît Christo Conradie à propos de la faible récolte, « mais derrière chaque nuage se cache un rayon d’espoir et nous avons observé des augmentations de prix allant jusqu’à entre +25 et +30% ». Cette embellie aurait-elle déjà eu un impact sur les plantations ? En 2018, malgré un bilan net encore négatif, les plantations de vignes ont repris. « Les arrachages sont restés bien supérieurs aux plantations en 2018, mais avec la fin de la sécheresse, les pépinières ont affiché des carnets de commande pleins », se réjouit François Viljoen.
Plus de 900 professionnels ont assisté à la journée d’information le 17 janvier au Cap.
Raisonner sur la durée
Désormais, le message envoyé par les responsables professionnels aux producteurs consiste à capitaliser sur cette amélioration pour maintenir le cap sur le plan tarifaire. « C’est cette année qu’il faut nouer et cultiver des relations avec ses partenaires sur la chaîne de valeur du vin », a exhorté Christo Conradie. « Essayez de comprendre quels vins sont élaborés à partir de vos raisins, demandez-vous pourquoi votre vin se trouve en linéaire à tel ou tel prix de vente, renseignez-vous sur les différents marchés vers lesquels vos vins sont expédiés et parlez-en avec votre acheteur… Il ne faut pas raisonner par campagne mais sur la durée. Le secteur du vin requiert de la patience ». Si certains producteurs n’ont pas eu cette patience, et se sont réorientés vers d’autres cultures plus rentables comme les agrumes ou les amandes, d’autres doivent se pencher à la fois sur leur positionnement prix et leur capacité d’innover pour éviter de se retrouver en concurrence directe, non seulement avec d’autres vins, mais surtout avec d’autres catégories de boissons.
« Les consommateurs se sont rabattus sur des produits moins chers ou ont même quitté la catégorie à cause de pressions financières », a expliqué Mark Norrish, responsable national vin chez Ultra Liquors, l’une des trois premières chaînes de magasins de vente d’alcool au détail en Afrique du Sud. « Il faut s’attendre à une transition vers des catégories novatrices telles que les vins faiblement alcoolisés, qui sont susceptibles de capter et de retenir l’attention des consommateurs », a-t-il affirmé.
Mettre l’accent sur l’expérience et non l’éducation
Pour sa part, le journaliste britannique Robert Joseph a souligné l’erreur d’une stratégie basée sur des prix bas, car qui dit marges bénéficiaires faibles, dit absence de marketing et donc cercle vicieux. « Des tentatives pour rattraper le coup, par exemple en mettant l’accent sur l’éducation, ont été peu judicieuses. Les consommateurs ne comptent pas sur l’éducation pour acheter des chaussures ou des cosmétiques, et la technologie élimine de plus en plus d’intermédiaires. Les modèles les plus profitables transcendent la catégorie et proposent des expériences ». Cette recommandation devient d’autant plus pertinente que, de l’avis des analystes, les frontières entre les différentes catégories de boissons s’effacent. « Il devient de plus en plus difficile de reconnaître des boissons et des positionnements prix en s’appuyant sur des codes conventionnels en matière de design », estime Robert Joseph, en ajoutant : « Les consommateurs ont tendance à acheter du vin comme n’importe quel autre produit – se basant sur la commodité, la reconnaissance de la marque et sa renommée ».
Naviguer entre deux courants contraires avec habileté
Il reste à savoir comment la filière sud-africaine va concilier deux réalités : d’un côté le besoin d’améliorer sa rentabilité grâce à une revalorisation de ses tarifs ; de l’autre, la conjoncture vitivinicole mondiale. Les analystes sud-africains estiment qu’au cours des dix prochaines années, il faudra investir environ 13 milliards de rands, soit plus de 800 millions d’euros dans le vignoble. Dans le même temps, le courtier international Ciatti prévient : « Lorsqu’ils définiront leurs prix pour 2019, les fournisseurs de vins en vrac du Cap-Occidental devront tenir compte de la nouvelle réalité mondiale : des disponibilités de vins en vrac en augmentation sensible et des prix en baisse ». Sachant que la moitié de leur production est exportée, et qu’environ 60% de leurs exportations sont expédiées en vrac, les opérateurs sud-africains auront fort à faire cette année pour ménager la chèvre bénéficiaire et le chou conjoncturel.