Je ne suis pas le seul à faire des travaux de drainage, à devoir apporter des cailloux, à avoir étalé les terres excédentaires… Si historiquement les propriétés de Bordeaux n’avaient pas drainé les sols, il n’y aurait pas beaucoup de vin en Gironde ! » laisse échapper Denis Durantou, le propriétaire du château L’Église Clinet (Pomerol). Entre surprise et incompréhension, le vigneron semble dépassé par la polémique qui enfle, un peu dans le vignoble qu’il travaille et beaucoup sur les réseaux sociaux dont il est absent, au sujet des travaux de drainage qu’il a réalisés début septembre sur une parcelle de 62 ares.
Mais à l’ère des téléphones portables et du tout connecté, les photos de ses pelleteuses creusant et terrassant le sol sont rapidement sorties du plateau de Pomerol. Ces clichés ont ouvert le débat plus large sur les limites à fixer aux pratiques de préparation des sols avant plantation. Les critiques se sont focalisées sur un apport de graves, et ont culminé dans un billet du blog de Jacques Berthomeau : « pendant que l’INAO vérifie avec un pied-à-coulisse la hauteur de l’herbe dans les vignes, à Pomerol on importe sans vergogne du terroir dans les vignes » (en référence au manquement à l’AOC Graves du domaine Liber Pater concernant l’entretien de son sol*).


« Toutes les terres venaient de la parcelle, il n’y a pas de terre exogène » réplique, non sans lassitude, Denis Durantou. Ajoutant que « ces travaux peuvent sembler marquants pour ceux qui ne connaissent pas les travaux viticoles. Mais ce n’était rien que du très classique. » Cette perception ne semble pas avoir été partagée par d’autres vignerons (« on ne draine pas une parcelle en étalant de la grave dessous » en confie un), qui ont directement alerté les services bordelais de l’Institut national de l'origine et de la qualité (INAO), envoyant des photos en temps réel. En réponse à cette mobilisation inédite, un technicien a été envoyé le jour même sur place.
Il est apparu que Denis Durantou n’avait pas informé le syndicat viticole de ces travaux, le vigneron affirmant ne pas connaître cette obligation. L’Organisme de Défense et de Gestion (ODG) doit en effet recevoir une notification deux mois avant un drainage, « afin de s’assurer qu’il n’y a pas de modification des sols et de la séquence morphologique » explique Laurent Fidèle, le délégué territorial de l’INAO. L’ODG a dans la foulée été saisie, pour que la parcelle soit évaluée par une commission sol et paysage.
« Je suis incapable de dire ce qu’il en est aujourd’hui. Je ne suis pas au courant de cet évènement, on s’y intéressera après les vendanges » botte en touche Jean-Marie Garde, le président du Syndicat Viticole et Agricole de Pomerol. Tout aussi prudent Laurent Fidèle glisse cependant que « sous réserve d’investigation, compte tenu du constat et des photos, on reste sérieusement interrogatifs sur ces travaux de drainage ». L’expert précise qu’il s’agit de la première fois qu’un tel le cas se présente à Bordeaux, une affaire similaire ayant par le passé conduit à un déclassement définitif d’un vignoble.
En cas d’atteinte avérée au terroir, l’aptitude à produire l'AOC peut être irrémédiablement perdue par une parcelle. Ce qui n’est pas sans enjeu économique dans une appellation prestigieuse comme Pomerol. En 2017, le coût de l’hectare à Pomerol avoisinait 1,5 million euros selon la SAFER, ce qui monte le prix d’une parcelle de 62 ares à plus de 900 000 euros.


Faisant historiquement partie de l’AOC, « cette parcelle a déjà été drainée, mais mal à l’époque » conclut Denis Durantou, qui désormais « va laisser la parcelle au repos » avant la plantation. Mais il n’est pas sûr que ce dossier reste aussi tranquille.
* : « Les deux sujets n’ont rien à voir » évacue Laurent Fidèle, qui souligne que Liber Pater fait l’objet d’un contrôle ponctuel sur un critère corrigeable et ajoute « je vous rassure, on ne mesure pas les hauteurs d’herbe… »