En 2010, l’archéologue et anthropologue américain Patrick McGovern a titré un article sur les vermouths « Le vin des rois et de l’au-delà », faisant allusion à l’utilisation d’armoise ou absinthe dans des vins médicinaux en Chine il y a trois mille ans ou plus. C’était l’ancêtre des vermouths. Plus récemment, ces derniers ont connu leurs heures de gloire dans les années 60 et 70, mais ont perdu la cote auprès des consommateurs à cause d’une image passée de mode et d’un changement d’habitudes de consommation. Depuis quelques années, ils ont indéniablement commencé à remonter la pente, grâce à des mixologues en quête d’ingrédients « nouveaux » pour des cocktails toujours plus en vogue. Leur teneur en alcool plus faible que les spiritueux – à une époque où prévaut le moins mais mieux – et leur distillation d’arômes peu courants mais originaux, font sans doute partie de leurs attraits. Mais ils ne sont pas les seuls. L’utilisation de différentes plantes, d’herbes aromatiques, de racines et d’épices répond à une volonté de découverte et une envie de naturel du côté des consommateurs. « La tendance bien-être a amené les consommateurs à délaisser les arômes artificiels en faveur d’ingrédients plus légers et plus naturels », note The IWSR dans une étude récente.
Polyvalent et gastronomique
Autre gros atout : la dimension amère des vermouths les rend particulièrement séduisants comme apéritifs. Or, ces dernières années, la culture de l’apéritif a dépassé les seules frontières de l’Europe continentale pour pénétrer les grands marchés anglo-saxons que sont les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, pour ne citer qu’eux. De même, la polyvalence des vermouths est appréciée. Les profils peuvent varier entre secs et sucrés, herbacés et fruités, puis les robes se déclinent de la plus claire à la plus foncée. Il y a bien un vermouth pour tous les goûts, une qualité accentuée dans les meilleurs cas par une complexité aromatique alliant douceur, amertume et acidité. Enfin, en s’adressant à une clientèle jeune et avide de découvertes, ils sont bien placés pour s’affranchir des codes classiques en matière d’habillage et de communication. C’est bien ce qu’entend faire Mark Ward, fondateur de la société australienne Regal Rogue qui propose une collection de vermouths issus à 100% de vins australiens associés à une vingtaine d’herbes aromatiques et d’épices. A titre d’exemple, le « Lively White » est un assemblage de sémillon provenant de la Hunter Valley, de myrte citronnée, de citrus glauca et de basilic tulsi. Parmi les autres ingrédients employés, on retrouve des graines d’acacia, de la gomme aux fraises, de l’oseille de Guinée et du podocarpus elatus. Autant dire, des saveurs que l’on ne rencontre pas tous les jours !
Mark Ward, fondateur de Regal Rogue
« J’ai découvert les plantes aromatiques australiennes en 2006 et j’ai commencé à réfléchir à l’idée de les marier avec des vins en 2008 pour élaborer des vermouths. Après avoir sélectionné le profil que je recherchais parmi les herbes aromatiques locales, je les ai assemblées avec les vins qui s’y prêtaient le mieux en provenance des meilleurs terroirs australiens », explique Mark Ward, qui dit avoir privilégié les vermouths au détriment des gins et autres alcools après avoir constaté l’absence de vermouths australiens sur le marché. D’ici la fin de l’année, les cuvées sélectionnées seront issues de la viticulture biologique pour mettre l’accent davantage sur l’aspect naturel du produit fini. Il s’agit d’un travail de longue haleine et si les ventes de Regal Rogue progressent bien, il aura fallu plusieurs années pour mettre en place un réseau de distribution efficace. « Notre première mise en bouteille portait sur 300 cartons de six bouteilles. Désormais nous mettons en bouteilles environ 6 000 cartons de six plusieurs fois par an ». Des résultats qui reflètent un prix de vente relativement élevé – 18,99 £ au détail sur le marché britannique et 27$ aux USA – pour un produit qui se boit seul. « Notre vermouth se destine à être consommé seul à l’apéritif. Idéalement, il est servi sur des glaçons dans un contexte gastronomique et les gens commencent vraiment à comprendre ce mode de dégustation ». Selon Mark Ward, si les vermouths ont réussi à opérer un « come-back » grâce à la mode des cocktails, la situation évolue : « Tous les événements que nous organisons s’articulent autour d’occasions gastronomiques ou sont axés sur le vin. Nous nous positionnons comme un apéritif vinicole ».
Le packaging reflète cette orientation : « La bouteille transparente met l’accent sur la couleur du vin et les descriptifs font allusion au profil organoleptique ». Une chemise en papier reproduisant le graphisme de la marque est utilisée pour conserver le vermouth à l’abri de la lumière et le différencier parmi d’autres produits posés sur un bar. Elle permettra de créer le buzz en faisant appel à des artistes pour dessiner différentes chemises - ces habillages en édition limitée seront lancés sur le marché britannique en octobre prochain. Référencée en Grande-Bretagne par Enotria Wine Cellars, la marque sera bientôt présente dans des magasins alimentaires de haut de gamme. « Nous sommes déjà présents dans l’ensemble des Virgin Atlantic Clubhouses (Ndlr : les salons opérés dans les aéroports par la compagnie aérienne Virgin Atlantic), ce qui permet à la marque d’avoir une visibilité dans des lieux très intéressants où le public est curieux et a le goût de l’aventure. Ce public ne se limite pas à certaines tranches d’âge mais se laisse guider par sa volonté de découverte. Notre public cible va de 28 à 80 ans, même ma grand-mère âgée de 97 ans l’adore par nostalgie car elle buvait du vermouth dans les années 1960-70 !»
Successeur du gin ?
Il reste à savoir si le vermouth est capable de détrôner l’omniprésent gin qui a réussi à surfer aussi sur la vague des cocktails, du craft et des déclinaisons aromatiques novatrices et étendues. « Les gens commencent à se lasser du gin. La plupart des acheteurs refusent de référencer de nouveaux gins. Si on considère le vermouth comme un gin à base de vin, il se peut que nous parvenions à récupérer des consommateurs curieux qui recherchent une nouvelle approche du gin, à travers une boisson moins alcoolisée et axée sur le vin ». Il n’y a aucun doute que dans le secteur des vins, de plus en plus opérateurs, et non des moindres, s’intéressent aux vermouths. Aux côtés des géants que sont Bacardi et Campari puis du français Noilly Prat, des groupes américains comme E & J Gallo et The Wine Group s’y sont lancés.
L’éducation un facteur clé
Dans le même temps, la catégorie s’est montrée propice au lancement de produits artisanaux, capitalisant ainsi sur la mode des « craft » si lucrative dans le domaine des bières et spiritueux. L’éducation, à la fois auprès des professionnels et des consommateurs, sera un facteur déterminant dans le développement des vermouths, longtemps mal menés en termes de service et de conservation. Une importance que reconnaît Mark Ward : « Nous avons encore beaucoup à faire pour nous débarrasser de l’image désuète du vermouth… Des marques comme la nôtre ont encore du pain sur la planche pour faire comprendre aux consommateurs qu’on peut le boire comme un vin. Nous devrons repousser les limites en lançant de nouveaux styles et en éduquant le public à travers des événements conviviaux et des dégustations ». A bon entendeur…