À l’heure des primeurs de Bordeaux, l’Association des Journalistes de l’Environnement (AJE) propose non pas un vin de 2017, mais de… 2050. Pour permettre au plus grand nombre de visualiser les incidences du changement climatique, cette association a souhaité donner un aperçu d’un vin de Bordeaux produit selon les caractéristiques culturales actuelles (essentiellement l’encépagement), mais avec les conditions climatiques de 2050. Relevé par le vigneron Pascal Chatonnet (également cofondateur du laboratoire d’analyses Excell), ce défi abouti sur la cuvée Bordeaux 2050.
Pédagogique, cette cuvée est un assemblage de vins de merlot et de cabernet sauvignon ayant été récoltés en 2016 en Languedoc et en Tunisie. « La démarche ne se veut pas mathématique ou scientifique, mais démonstrative, sans être caricaturale » explique Pascal Chatonnet, qui donne ainsi sa vision Å“nologique du réchauffement climatique, à partir de ses connaissances des cépages bordelais sous climats chauds. « Dieu merci, aujourd’hui Bordeaux n’est pas une région où les effets du changement climatique se font trop ressentir. Mais si tout se passe comme les experts du climat le prédisent, on peut s’attendre à des modifications d’ampleur. Qui sont d’ores et déjà perceptibles dans des vignobles plus exposés au sud » explique-t-il.


À la dégustation, ce Bordeaux 2050 est d’abord marqué par un nez d’orange et d’épice, qui ne serait pas éloigné d’un… vin chaud. « Bordeaux a la typicité d’un nez de fruits frais, rouges ou noirs selon l’année, mais ici on tend vers le fruit cuit, voire sec » analyse Pascal Chatonnet, qui fait état d’une « attaque en bouche très sirupeuse, mais rapidement les tanins deviennent séchants et la finale est assez amère. » Pour l’Å“nologue, ce n’est pas forcément un mauvais vin, mais il est plus concentré et rustique que le style bordelais.
Chaleureux en termes d’arômes, ce vin ne l’est par contre pas en termes d’alcool. L’assemblage mi-merlot mi-cabernet titre en effet à 13,5 degrés d’alcool, Pascal Chatonnet étant convaincu que les forts degrés ne seront plus acceptés à l’avenir par les marchés : « les récoltes seront systématiquement réalisées plus tôt pour diminuer les concentrations de sucre. »
« Si le changement climatique global continue sur cette lancée et que l’on ne modifie pas les méthodes de production, nos vins seront différents » démontre par l’exemple Pascal Chatonnet. « Certes, aujourd’hui le changement climatique est plutôt favorable à Bordeaux, nos raisins mûrissent mieux, mais le pauvre merlot est sur la sellette si l’on ne continue à rien faire » estime le vigneron de la rive droite.
Pour lui, les solutions d’adaptation au vignoble doivent être étudiées avec attention. Si l’augmentation des rendements peut réduire les concentrations en sucre, elle dilue également les composés aromatiques et phénoliques d’intérêt (et peut nécessiter de l’irrigation). Au-delà des changements de pratiques viticoles (comme l’effeuillage), Pascal Chatonnet plaide pour une évolution de l’encépagement. Avec davantage de cépages plus tardifs que le merlot, comme le cabernet sauvignon, le cabernet franc, le malbec… « Pour les premiers vins des grands vignobles, il faut planter aujourd’hui en visant 2050 » conclut-il, ne s’adressant pas qu’aux vignerons de Bordeaux, mais de toute la France.
400 bouteilles de la cuvée Bordeaux 2050 ont été produites à des fins pédagogiques, elles ne seront pas commercialisées.