our anticiper ces risques et préparer son vignoble à les affronter, Anastasia Rocque, chargée de mission de la Chambre d’Agriculture d’Indre-et-Loire (CA 37) et spécialiste nationale de la lutte contre le gel de printemps (Assemblée Permanente des Chambres d’Agriculture) a réalisé une étude sur les techniques de lutte en Indre-et-Loire suite au gel de 2016. Ses résultats ont été confirmés par les nouvelles gelées en 2017 et présentés 31 janvier lors des cinquièmes rencontres viticoles d’Aquitaine au lycée de Blanquefort. Comparant les efficacités des principales solutions utilisées dans le vignoble, la technicienne a surtout rapporté le coût moyen de chaque solution au litre de vin produit, dans le cas d’un rendement à 50 hectolitres/hectare et de trois nuits de protection (en 2017, des systèmes ont été mobilisés jusqu’à 12 nuits en Indre-et-Loire, même s’il n’y a pas forcément eu un gel effectif à chaque alerte).
Les aspersions d’eauPour Anastasia Rocque, l’aspersion d’eau sur les vignes est la solution la plus efficace techniquement, car elle permet de lutter sans distinction contre les gels radiatifs et advectifs. « L’eau liquide se met en contact avec les bourgeons et forme une coquille de protection en gelant. Ce changement d’état dégage une chaleur qui maintient le bourgeon à zéro degré. Cette protection est efficace jusqu’à une température extérieure de -6 à -7 °C » explique l’experte. En termes d’investissements sur un hectare, la solution coûte 8 à 14 000 € HT. Avec un amortissement de 1 000 €/ha et des frais de fonctionnement de 35 €/ha, le coût moyen est de 0,27 euro/litre.
L’utilisation des asperseurs nécessite cependant des précautions d’utilisation, pour ne pas faire geler les bourgeons en les aspergeant trop tard (les histoires de parcelles aspergées ayant gelé alors que celles voisines ont été épargnées ne manquent pas dans le vignoble). Pour éviter les contre-performances, Anastasia Rocque conseille d’utiliser des abaques et un thermomètre mouillé afin de bien caler le moment de l’intervention.
Les contraintes de l'irrigation
Si l’aspersion d’eau est efficace, elle ne manque pas d’inconvénients. Le premier étant la forte quantité d’eau nécessaire (en moyenne 40 mètres cubes par heure et hectare). « Il faut une source d’eau fiable à proximité » prévient la technicienne. Et la solution n’est pas adaptée à tous les types de sols, un tel apport d’eau les saturant, et pouvant lessiver ou éroder les parcelles. Dans lesquelles les réentrées peuvent être compliquées (quitte à gêner les lancements de programmes de protection phytosanitaire). À l’installation, cet outil implique les mêmes contraintes réglementaires qu’une irrigation classique. « Il faut des études d’impact environnemental, ce qui implique un coût et un délai supplémentaires. Je connais des demandes réalisées en 2016 qui en sont toujours à l’étape de traitement de leur impact sur la faune et la flore » rapporte l’experte.
Quant aux solutions d’aspersion de solution de pectines ou de sucres, les deux produits commercialisés dans le commerce ont peu convaincu Anastasia Rocque. « Leur efficacité semble minimale. Voire nulle si les températures passent en dessous de -2 °C. On va les tester à nouveau, mais je ne suis pas certaine que ces produits puissent avoir un impact sur le processus physique qu’est le gel » estime-t-elle. Pour être efficace, ces solutions doivent également être pulvérisées deux heures avant le gel, ce qui limite leurs possibilités d’utilisation.
BIVB/Chablis
Le brassage d’air : tours antigels et hélicoptèresDans le cas d’un gel radiatif, les tours antigel constituent une autre solution. Fixe ou mobile, une tour antigel fixe brasse ainsi l’air pour uniformiser les températures entre le sol et l’altitude. Si la version fixe peut protéger jusqu’à 5 hectares sur des températures de -4 °C et avec des vents inférieurs à 10 km/h, celle mobile est limitée à 3 hectares pour -3 °C avec des vents inférieurs à 8 km/h. Représentant un investissement de 40 000 € HT pour un amortissement de 800 €/ha et des frais de fonctionnement de 250 €/ha, la tour antigel fixe coûte 0,21 €/l. Soit un centime de moins que la tour antigel mobile (30 000 € HT d’investissement, 1 000 €/ha d’amortissement et 100 €/ha de frais de fonctionnement).
Avec une faible hauteur et une prise au sol réduite, la tour mobile ne nécessite pas de demande de permis de construire à l’installation, mais une vérification du Plan Local d’Urbanisme si jamais la zone est protégée souligne Anastasia Rocque. Si ces solutions ont l’avantage d’être peu gourmandes en main-d’œuvre, elles font cependant beaucoup de bruit : 100 décibels à 300 mètres de distance pour la tour fixe et 50 dB pour celle mobile. Leur utilisation nécessite donc des arrêtés préfectoraux autorisant des nuisances sonores pour la protection des cultures. Un tel cadre réglementaire est également nécessaire pour les hélicoptères, qui sont une autre solution de brassage d’air.
Vol de nuit
Également inadaptés aux gels advectifs, les vols d’hélicoptère permettent de protéger 20 à 25 ha en élevant la température de 3 à 4,5 °C. Ils « rabattent au sol la couche d’air chaude en altitude et vident les bas-fonds de l’air froid accumulé la nuit » explique la technicienne. Pour maintenir cette hausse de la température, des passages réguliers sont cependant nécessaires (toutes les dix à vingt minutes). Coûtant 7 500 € pour 25 ha (soit 900 € HT/ha pour trois vols), une protection par hélicoptère revient à 0,18 €/l. Les gelées de 2017 s’étant déclarées vers deux heures du matin, il était nécessaire que le pilote ait une autorisation de vol de nuit. Sinon il doit attendre le lever de jour aéronautique. « Soit trente minutes après le lever du jour. Et il faut obligatoirement avertir la veille de la sortie. Ce qui est très dépendant des prévisions de Météo France » souligne Anastasia Rocque.
Chauffage de l’air
Pour réchauffer l’atmosphère, les bougies sont la solution traditionnelle par excellence. Efficaces jusqu’à -4 °C sur tous types de gel, elles sont avant tout adaptées aux petites parcelles. 400 bougies étant nécessaires pour protéger un hectare de vignes pendant douze heures. Ce qui demande une main-d’œuvre importante, avec 20 heures de manutention pour protéger un hectare. Avec un investissement de 2 500 €/ha, le prix des bougies revient à 0,49 €/l. « Le coût de revient est très élevé pour les gelées fréquentes » appuie Anastasia Rocque.
Les convecteurs à air chaud permettent également de chauffer l’air à proximité des ceps. Fonctionnant au gaz, ces canons protègent 0,5 ha de vigne pour des températures descendant jusqu’à -3 °C (que le gel soit radiatif ou advectif). Représentant un investissement de 8 000 € HT, ce matériel représente 1 600 €/ha d’amortissement et 300 €/ha de frais de fonctionnement. « Sur le marché, seul le FrostGuard d’Agrofrost est adapté à la viticulture. Il est efficace pour les zones où il y a des ruptures de paysage (type murs, bas-fond…), il n’est pas conseillé pour les plaines » précise la technicienne. Bruyant (50 dB à 50 mètres), l’outil est inefficace en cas de vents supérieurs à 10 km/h.
Maisons de Champagne.