Si on se casse trop la tête à tailler un pied, on perdra beaucoup de temps cette année » prévient André Faugère. En cave particulière sous contrat vrac avec un négociant, le vigneron bordelais a accueilli ce 30 novembre l’atelier de taille des vignes gelées de la Chambre d’Agriculture de Gironde. Son domaine est représentatif des défis posés à l’ensemble du vignoble bordelais, le technicien commençant cette fin novembre à tailler en guyot mixte ses 37 hectares de vigne en Entre-deux-Mers, dont 33 ha touchés par gel. Face à la complexité des vignes buissonnantes qu’il découvre, il constate une hausse moyenne de 20 % du temps de taille nécessaire (ce qui est à pondérer sur le long terme, voir encadré). Pour ne pas être noyé sous la charge de travail, « cette année, on fait ce que l’on peut avec ce que l’on a » résume-t-il.
Reconnaissant être d’habitude très rigoureux avec la taille, il adopte une approche simple : « les endroits où l’on voit un joli bois, il ne faut pas se poser de questions : on en fait une baguette ! Même si elle n’est pas bien positionnée sur le pied. Dans la mesure où c’est un calibre de 10 millimètres, ce sera un bois à fruit et il y a des cuves vides… L’an prochain, il faudra les volumes ! » Il faut préciser qu’en 2017, ses rendements ont chuté de 75 % pour les rouges (moins de 15 hl/ha) et de 60 % pour les blancs (25 hl/ha).
Au moins la réduction du travail au chai lui permet-elle de commencer en avance la taille de ses vignes. Après le passage de la prétailleuse, ce sont les vignes partiellement gelées qui sont les plus complexes à appréhender. « Il restait quelques feuilles vertes et la végétation est repartie en buisson » rapporte André Faugère. « Si le pied est vigoureux, on peut trouver des bois d’une section correcte. Mais sinon, il est très difficile de trouver un diamètre convenable… Et pas de bol, il peut y avoir des nécroses ! Alors que l’extérieur paraît bon, le bois est finalement creux. Ce qui risque de casser au pliage, et d’être problématique pour l’alimentation des rameaux »
La question des réserves des vignes gelées se pose également alors que le vigneron rapporte se faire « piéger sur des bois qui n’ont pas fini d’aoûter au bout. On en trouve même sur sémillon, qui aoûte normalement bien. » Un autre cas particulier, celui où aucun bourgeon n’est ressorti d’une baguette. « Il n’y a pas eu ce souci sur le merlot, mais sur des cabernet sauvignon ou des sauvignon blanc, il y a des côtés du pied où rien ne repousse. On ne coupe pas, Des fois que cela ressorte… » espère le vigneron.


Les vignes totalement gelées sont finalement les plus simples à tailler. « il n’y a que des bois de deuxième génération, on se pose moins de questions, c’est plus facile ! » soupire André Faugère. Une autre exception dans cette jungle de complexité concerne les jeunes plantations du domaine. Si le gel a freiné le bon développement des plantiers, les vignes plantées en 2016 ont été épamprées pour ne garder qu’un entre-cœur sur la multitude des repousses. Si le bois est peu développé (« 1,50 mètre au lieu de 3 mètres, et avec un petit diamètre »), sa formation facilite le travail.
Espérant ne pas avoir besoin de main-d’œuvre supplémentaire pour tailler son vignoble, André Faugère n’hésitera pas à embaucher des saisonniers si nécessaire : « s’il y a du travail à faire, il faut qu’il soit fait. Même si l’on n’a plus de revenus… On ne peut pas faire cette économie. »
« Face à la complexité de la taille cette année, les viticulteurs attendent beaucoup des prestataires de services » constate Christophe Minard, le responsable commercial et technique des travaux manuels du prestataire de services Banton et Lauret (avec Jean-Jacques Dubois). Bouclant actuellement son planning de taille, le technicien viticole fait face à une forte demande des clients, qui prennent conscience qu’avec la complexité des vignes gelées, ils ne pourront pas tout tailler avec leurs équipes habituelles.
À la tête d’une soixantaine de tailleurs permanents et saisonniers, Christophe Minard gère normalement de novembre à mars la taille de 5 millions de pieds, pour 50 à 55 000 heures essentiellement dans le Libournais (mais aussi dans le Médoc et les Graves). Selon lui, la hausse du temps de travail est la plus forte sur les vignes partiellement gelées. « +20 %, c’est sur la première journée. Et cela dépend des dégâts de gel et des travaux en vert qui sont généralement bénéfiques » explique l’expert. De ses premières expériences de taille, il explique qu’un meilleur rythme s’instaure au fur et à mesure que de nouveaux réflexes s’installent dans les schémas de taille. « Cette année, tailler sur pampres ne sera pas coutume, mais ce sera fréquent » relève-t-il.
Cette assurance progressive dans la taille de vignes gelées est consolidée par des formations effectuées en amont. Anticipant la complexité de cette campagne de taille, Banton et Lauret a fait suivre à ses équipes de taille des stages de perfectionnement avec les maîtres-tailleurs italiens de Simonit and Sirch, ainsi que des phases d’observation des parcelles gelées. Sans oublier un programme spécial pour les tailleurs débutants. Mais « ce n’est pas la meilleure année pour commencer à tailler » reconnaît Christophe Minard. Si fournir un travail soigné reste la priorité du prestataire, les enjeux de taille-douce sont clairement dépassés par la volonté de productivité en 2018 des clients. « On a à l’esprit de rester pragmatiques, on ne peut pas être aussi exigeant qu’à la normale » résume le technicien, reconnaissant que tous ont en tête la générosité du millésime 1992, suivant les gelées de 1991.
Quant aux coûts, qui restent le nerf de la guerre pour les exploitants, « il n’est pas évident à estimer au début de la saison » botte en touche Christophe Minard. Pouvant être estimé au cas par cas, le prix de taille ne peut pas être généralisé cette campagne. Sur une année classique, la taille en guyot d’un cep coûte en moyenne vingt centimes.