erf de la guerre pour la pérennité économique des domaines viticoles, le rendement est un paramètre dont les tenants et aboutissants tiennent du nœud gordien. Ce 9 mars, au terme de la riche journée technique du cluster Inno’Vin à l’Institut Supérieur de la Vigne et du Vin, les exposés ont ainsi ajouté de nouveaux entrelacs à une pelote déjà bien emmêlée.
Ce n’est pourtant pas faute d’essayer de proposer des éléments concrets pour le pilotage du vignoble. Les chercheurs et entrepreneurs présentaient ainsi de nouvelles pistes pour déterminer précocement les rendements (comme les cartographies NDVI de Fruition ou le capteur EARN de Bordeaux Science Agro). Mais l’audience affichait un scepticisme de bon aloi face à des marges d’erreur avoisinant encore trop souvent les 20 %. Un certain fatalisme semble s’être installé face aux prédictions sur la productivité du vignoble. « C’est simple, nous nous trompons chaque année » reconnaît sans sourciller Sébastien Labails, responsable technique des Vignerons de Buzet, qui met pourtant expérience et application dans l’exercice.
« On ne découvre le niveau réel de la récolte dans la première demi-heure de la vendange » s’amuse le viticulteur Benard Farges (GAEC de l’Enclos, 147 hectares en Entre-Deux-Mers). Président du syndicat de l’AOC Bordeaux, il ajoute que « le rendement n’est un problème que quand l’on n’atteint pas les objectifs ». Une aspiration toujours plus délicate à atteindre, alors que la baisse des rendements est un constat national. Selon les études du Plan Dépérissement, la perte de rendement en moyenne imputable au dépérissement était de l’ordre de 4,6 hl/ha en France et en 2014. Soit un « manque à̀ produire » de 2,1 à 3,4 millions d’hectolitres, pour un chiffre d’affaires estimé entre 900 millions et un milliard d’euros.
L’identification des principaux leviers d’optimisation des rendements est logiquement au cœur des travaux de la recherche française. Mais il semble paradoxalement que plus les scientifiques s’y penchent, et plus l’espoir d’une maîtrise simple s’éloigne. Il faut dire que le nombre de facteurs influant sur le rendement forme une liste presque sans fin, comme le résume Marion Claverie de l’Institut Français de la Vigne et du Vin (Rhône-Méditerranée). Ces paramètres vont en effet de l’environnement au sens large (climat, sol, états hydriques, nutritionnels, sanitaires…) aux modes culturaux (fertilisation, irrigation, entretien du sol…), en passant par les modalités de plantation (cépage, porte-greffe, repos du sol, complantation…) et le profil de l’entreprise (âge et formation de l’exploitant, stratégie…).
Face à ces leviers emboîtés, tout est enjeu d’échelles pour la technicienne de l’IFV. Afin d’appréhender concrètement la hiérarchisation des facteurs réduisant son rendement, elle préconise aux vignerons de descendre à l’échelle de la propriété et de ces parcelles. Pour faire une photo locale à un instant donné, elle a ainsi normalisé un protocole d’étude. Cette approche a été mise en application sur 29 parcelles de grenache climatiquement homogènes d’une cave coopérative méditerranéenne sur millésimes 2014 et 2015.


Par rapport à l’objectif de rendement en AOC (1,5 à 2 kg par cep), l’analyse statistique de ce cas particulier détermine que les deux principaux facteurs expliquant les variations de rendements sont la part de pieds manquants, ainsi que le court-noué*. Ce qui correspond au profil du vignoble : âgé, avec 20 à 25 ceps improductifs. Tandis que les fortes coulures liées à la présence de virose sont accentuées par la sensibilité du cépage. Sur cet essai méridional « il y a d’autres problèmes fréquents, comme le mildiou/oïdium, l’enherbement, les maladies du bois, l’eau… Mais ce sont des facteurs ponctuels, additifs mais peu impactants » estime Marion Claverie.
Si ces résultats ne sont pas généralisables, ils donnent des pistes de réflexion pour l’approche multifactorielle du rendement. Sachant que l’importance des paramètres viticoles n’est ni linéaires, ni attendus. Pour déployer sa méthodologie, Marion Claverie a proposé l’extension de son programme dans le cadre de l’appel à projet du Plan Dépérissement (avec trois autres caves dans le Sud-Est, ainsi que dans le Beaujolais et en Val de Loire).


À Cognac, « les faibles rendements se trouvent souvent sur les parcelles en mauvais état général, avec beaucoup de manquants et avec du court-noué. Les viroses sont au premier rang des pertes de rendement » confirme de son côté part Vincent Dumot, de la Station Viticole de l’interprofession de Cognac. Dans le vignoble d’eaux-de-vie charentaises le concept de petit rendement est relatif. Une petite productivité est de l’ordre de 100 hl/ha, sachant que l’objectif est d’atteindre 120 hl/ha pour le profil recherché (taux alcool potentiel de 8,5 à 10,5 degrés pour une acidité supérieure à 7,5 g/l H2SO4).
D’après les essais réalisés par la Station Viticole, Vincent Dumot rappelle que le rendement peut être affecté, selon le climat du millésime, soit par le nombre de grappes (gelées, filage…), soit par le poids des grappes (à véraison en cas de coulure, échaudage ou mildiou, à vendanges si botrytis, flétrissement…). Au final, les facteurs les plus impactants sont souvent intangibles. Soit étant hors de portée (comme l’effet millésime ou la commune d’implantation), soit étant par essence pérennes (espacements, porte-greffe, clone…). « Les pratiques annuelles (comme l’entretien du sol, la fumure et la charge) ont un effet limité » note Vincent Dumot.
« Le facteur primordial, c’est la pluviométrie. Il suffit d’avoir une pluie qui tombe au bon moment, et cela simplifie tout » résume sans façon Frédéric Ardouin, le directeur technique du château du Tertre (54 hectares en AOC Margaux). Sans aller jusqu’au fatalisme, le pilotage du rendement peut cependant être corrigé, par l’éclaircissage, l’entretien du sol, la fertilisation, la taille…
Car finalement, la baisse des rendements résulte d’orientations collectives souligne Bernard Farges. « Le déclin constaté est aussi le résultat de choix collectifs que nous avons faits. Avec des porte-greffes moins vigoureux, une réduction de la fertilisation, une augmentation des densités de plantation… Aujourd’hui les choix sont différents, je pense que nous allons revenir à des rendements plus importants » conclut le viticulteur bordelais.
Physiologiquement, le rendement viticole est lié à sept étapes clés du développement de la vigne. Qui sont réparties sur deux millésimes et liées les unes aux autres « par des phénomènes de compensation » rappelle Thierry Dufourcq (IFV). Le processus commence ainsi au millésime n-1, avec l’initiation puis la différenciation des inflorescences, durant le printemps et l’été (dépendant de l’ensoleillement, de la température, des disponibilités en azote, eau…). Puis vient la mise en dormance hivernale, sachant que les effets de la taille seront déterminant sur le niveau de rendement. Le débourrement lance la fin de la différenciation des inflorescences, puis la formation des fleurs. Après la floraison vient la fécondation (mais aussi l’avortement), conduisant à la formation des baies, puis à leur remplissage.