e l’Afrique du Sud au Royaume-Uni, en passant par l’Australie et le New-Jersey, les retours d’expérience de dix-neuf vignerons sur le changement climatique ont été réunis dans l’article Climate Change : Field Reports from Leading Winemakers (Journal of Wine Economics). Dans ce patchwork de vignobles et de ressentis, on ne trouve pas un seul climatosceptique, mais bien des nuances dans les préoccupations.
« Le changement climatique est la plus grande menace pour la filière du vin en général, et pour les vignerons en particulier, comme les vignes sont extrêmement sensibles aux modifications de température » pose Miguel A. Torres, le président des Bodegas Torres (Vilafranca del Penedès, Espagne). « Ce changement touche nos vignes, nos vendanges commencent en moyenne dix jours plus tôt. Pour les prochaines vingt années, le mot d’ordre est de retarder les maturités » explique-t-il, rapportant des résultats d’essais concluants sur l’augmentation de la distance au sol des grappes (passant de 60 à 90 centimètres).


Pour d’autres, les évolutions de la météorologie apportent leur lot de nouvelles opportunités (comme de meilleures maturités dans des vignobles septentrionaux), mais aussi leur abondance d’aléas climatiques (coups de gel, inondations , orages de grêle…). « Et avec l’augmentation des pluies, nous avons presque des conditions d’humidité tropicales » ajoute Clemens Busch, vigneron en biodynamie à la tête de Weingut Clemens and Rita Busch (Moselle, Allemagne). Ce qui entraîne une pression phytosanitaire croissante. « Je ne sais pas jusqu’à quel point le black rot est causé par le climat, mais le botrytis l’est. Avant nous tirions avantage du botrytis en fin de saison, maintenant cela devient négatif. L’arrivée à maturité du riesling étant désynchronisé de l’apparition du botrytis » note-t-il.
Dans d’autres vignobles, ce ne sont pas les excès d’eau qui inquiètent, mais au contraire la gestion des déficits hydriques. « Dans le passé, les droits à l’irrigation étaient relativement faciles d’accès » se souvient David Adelsheim, le président d’Adelsheim Vineyard (Orégon, Etats-Unis). Pour lui, le recours à l’irrigation se limitait jusqu’à présent aux années suivant la plantation de nouvelles vignes, afin de faciliter leur enracinement. Mais depuis dix ans, les nouvelles parcelles de cépages blancs sont souvent équipées pour l’irrigation lors des étés particulièrement secs et chauds (pour les chardonnay, pinot gris, riesling…).


« Dans l’Hémisphère Sud, nous avons le luxe de pouvoir utiliser l’irrigation comme outil de gestion des interactions entre le sol et la vigne. Même si c’est coûteux » explique Jan “Boland” Coetzee, l’ancien joueur international de rugby à la tête de Vriesenhof Vineyards (Stellenbosch, Afrique du Sud). « Avec l’augmentation des températures, notamment celles extrêmes, nous en venons à copier les producteurs de raisins de table, avec de la brumatisation au-dessus des vignes » rapporte-t-il.
Fervente partisane de l’irrigation au goutte-à-goutte, le docteur Laura Catena, directrice générale de la Bodega Catena Zapata (Mendoza, Argentine), souligne qu’un autre enjeu pour l’irrigation est « le mépris relatif que les vignerons européens ont pour l’irrigation. Nous devons être au fait des différences significatives de climat et de terroirs entre nos régions : en Europe de nombreux vignobles ont d’abondants aquifères, et tout excès d’eau de pluie ou d’irrigation conduit à une baisse en qualité. Alors que les réserves d’eau souterraines à Mendoza sont bien plus profonde et inaccessibles aux racines de vigne. »
En Europe, les effets qualitatifs du changement climatique posent justement question. Notamment en terme de compositions et d’équilibres. « La formule “température plus chaude = plus d’alcool” est plus que simpliste. De manière fonctionnelle, les relations de cause à effet sont bien plus complexes » esquisse Boris Champy, le directeur technique de la maison bourguignonne Louis Latour.
De l’ensemble de ces témoignages, il ressort, au-delà des interrogations, une confiance dans les capacités de la viticulture à surpasser les défis posés par le changement climatique.
En la matière, les leviers ne manquent pas. Comme l’adaptation de l’encépagament souligne le professeur bordelais Denis Dubourdieu, enseignant à l’Institut des Sciences de la Vigne et du Vin, également vigneron et consultant à Bordeaux. « Il y a trente ans, dans les régions chaudes et sèches des nouveaux et anciens mondes, les vignerons ont planté des cépages français septentrionaux, à maturité relativement précoces et connus pour les vins réputés qu’ils produisent sous des climats océaniques ou continentaux (où ils murissent plus lentement) » rappelle-t-il.


« Les vignerons ressentent déjà les effets négatifs du réchauffement climatique sur leurs vins : trop de sucre, des arômes de fruits cuits, des tannins rudes… Et une incapacité à atteindre le bouquet réducteur propre aux vins de garde. Ils ont peu de marge de manoeuvre, leurs choix d’encépagement doivent être revus. Mais il y a de l’espoir, grâce à la diversité de variétés européennes » conclut Denis Dubourdieu.
Pour en savoir plus sur le changement climatique et le chamboulement des pratiques viticoles, lire le dossier du dernier numéro de La Vigne.