Ayant rejoint en 2004 les vignobles familiaux (voir encadré), Jérémy Ducourt a commencé à s’intéresser aux cépages résistants au mildiou et à l’oïdium en 2012. Sa simple curiosité s’est piquée de franche impatience, au contact de deux vignerons de référence en la matière : François et Vincent Pugibet (domaine de la Colombette, Languedoc). « Je me suis dit, s’ils arrivent à cultiver la vigne sans traitement à Béziers, on doit bien réussir à le faire à Bordeaux. Peut-être pas à zéro traitement, mais au plus à deux au lieu des sept ou huit actuels » résume Jérémy Ducourt.
Dans la foulée, il a demandé une dérogation pour se lancer dans l’expérimentation. Avec le soutien d'élus du vignoble, son dossier a pu être rapidement bouclé et les vignobles Ducourt ont planté deux parcelles résistantes en juin 2014. 1,3 hectare du cépage blanc réselle (ou cal 6.04) et 1,7 ha du cépage rouge sauvignon juval (ou cabernet jura, voir diaporama). Dans les deux cas, il s’agit d’hybrides de cinquième génération obtenus par le pépiniériste suisse Valentin Blattner (avec 3,125 % de génome non-Vitis vinifera). Guidé par l’expérience de Vincent Pugibet, le choix de ces deux variétés s'est fait sur des critères organoleptiques, laissant présager une belle aromatique en blanc et des tannins suaves en rouge.
Si les vins obtenus seront commercialisés en Vin Sans Indication Géographique (probablement pour le millésime 2017), l'objectif des vignobles Ducourt est de tester des cépages résistants dans les conditions de production du Bordelais. Les parcelles affichent une densité de plantation de 4 000 pieds/hectare et sont conduites avec une taille guyot mixte, pour un rendement visé de 60 hectolitres/hectare.
Stratégie de protection croiséePremière campagne viticole pour ces parcelles expérimentales, 2014 n’aura nécessité qu’un traitement sur les résistants. Contre quatre sur les rangs témoins conduits en conventionnel (l’essai suit en effet un protocole expérimental, suivi par la Chambre d’Agriculture de Gironde). Sur une année à forte pression comme 2015, un seul traitement aura également été nécessaire, contre sept en conventionnel. Et dans ces deux millésimes, Jérémy Ducourt souligne qu’il n’a pas constaté de développements significatifs de maladies sur le feuillage. « Il y a eu quelques implantations, mais zéro nécrose en fin de saison » résume le technicien.
Alors que les troisièmes feuilles de cabernet juval et réselle viennent de percer leurs bourgeons, il espère qu’il ne traitera qu’une fois les deux parcelles sur la campagne 2016. Car il ne vise pas le zéro traitement, préférant une stratégie croisée de protection. Jérémy Ducourt estime qu’à Bordeaux le fort inoculum d’oïdium empêche d’imaginer sereinement l’absence de traitement languedocien. Il opte donc pour un traitement en début de saison, et se garde la possibilité d’un deuxième passage en fin de campagne.
En matière de traitement, il a d’ailleurs choisi une approche bio. Et si sur la majorité des vignobles Ducourt le désherbage sous le rang est chimique, il est mécanique pour les parcelles de résistants (avec deux passages/an). Mais Jérémy Ducourt se distancie immédiatement de la démarche bio, qu’il a précédemment expérimentée, sans être conquis. « Les essais pratiques de bio ne nous ont pas convaincu. On stérilise aussi bien un sol avec du cuivre qu’avec un produit conventionnel. Voire mieux avec la rémanence et l’accumulation du cuivre » glisse-t-il, disant privilégier une approche de raisonnement du coût environnemental.
Plaidoyer pour une recherche intégréeLe maintien d’un traitement minimum permet également d’éviter l’expression de maladies secondaires, tout en espérant préserver la résistance de ces nouveaux cépages. Car, comme le souligne souvent l’argumentaire de l’Institut National de la Recherche Agronomique et de l’Institut Français de la Vigne et du Vin, ces cépages étrangers affichent des résistances monogéniques, issues d’un seul parent et sont moins durables en théorie (comme pour le gène Rpv3 contre le mildiou, contourné sur les cépages bianca et regent). Les instituts scientifiques appellent d'ailleurs à la patience, avec la commercialisation l'an prochain de ces cépages à Résistance Durable (ResDur).
Mais le vignoble a de plus en plus de mal à attendre face aux résultats de leurs confrères européens. En témoigne Jérémy Ducourt, qui hausse le ton dès lors qu’il est question de principe de précaution. « Dans ce cas, pourquoi avoir inscrit en 2013 le Muscat Bleu ? Une variété de raisins de table et d’ornementation qui n’a que le gène Rpv3, qui pose problème avec le Regent ? » raille-t-il.
Finançant en propre son expérimentation, le technicien regrette que la recherche institutionnelle ne soutienne pas les initiatives individuelles sur le matériel résistant existant qu'il soit originaire d'autres catalogues européens ou même inscrit sur celui français. Vingt et un cépages interspécifiques sont actuellement autorisés en France*. « Sur le territoire national, il y avait 30 % hybrides en 1958. Où est le super-mildiou qui nous est promis ? » demande-t-il, y voyant un protectionnisme des obtenteurs pour leurs royalties.
« Qu’est-ce qui est le plus problématique : appliquer tous les ans des molécules devant lesquelles les champignons développent des résistances, ou se risquer à utiliser des résistances naturelles introduites dans des plantes ? » ajoute-t-il. Mais au-delà de la polémique, il appelle à un travail de concert, pour remettre la recherche en phase avec les demandes et enjeux de la production. Le vignoble se structure d'ailleurs pour être force de proposition et d'expérimentation. Actuellement, les groupes de travail sur les cépages résistants essaiment en Gironde. Il en existe trois, à l'Organisme de Défense et de Gestion des AOC Bordeaux et Bordeaux Supérieur, à la commission technique du Conseil Interprofessionnel des Vins de Bordeaux et un à la Fédération des Grands Vins de Bordeaux.
Thiols sauvignonnés, mais en trop petite quantitéEn complément des essais viticoles, les Vignobles Ducourt ont réalisé leur première vinification de blanc résistant le millésime 2015 (sur rouge, il n’y avait pas suffisamment de raisins). Avec seulement 30 litres produits de réselle, les résultats sont positifs, avec une fraîcheur en bouche où l’on retrouve aromatiquement la parentée thiolée du sauvignon blanc et la fraîcheur du riesling. « Et ce vin est très stable aromatiquement, sans qu’on se l’explique » souligne Jérémy Ducourt, pour qui « c’est assez prometteur. Mais avec seulement 100 kilos de raisins... »
Si le technicien pressent une limite à son essai : c'est le handicap de ses petites surfaces. Elles sont encore bien loin de permettre la réalisation de ses ambitions de production, afin de tester l'acceptabilité commerciale de ces nouveaux cépages. Jérémy Ducourt ne cache pas aussi sa déception que la mise en commun européenne des catalogues nationaux ne se soit pas étendue à la France. Ce qui laisse les vignerons soumis aux les contraintes d'un système de dérogations. Le technicien attend désormais de voir aboutir la piste du classement accéléré d’une liste de 25 cépages prioritaires, proposée au début d’année par les professionnels du conseil spécialisé de FranceAgriMer
« Si l'on n’était pas arrêté par la réglementation, on planterait au moins 3 hectares de chaque cépage » lance le vigneron. Qui n’a pas peur ni de la commercialisation en vin de France (il est justement président du nouveau syndicat des VSIG de Gironde), ni du pari d'une extension de plantation sans vrais résultats préalables : « quand on connaît le coût et le risque des traitements, on saute sur les cépages résistants » relativise-t-il. Mais s'il estime que les cépages résistants peuvent d’emblée être une très bonne solution aux enjeux d’Ecophyto, il nuance immédiatement sa conclusion : « je ne saurai pas encore dire si c’est un solution miracle ».
A noter que ces deux parcelles de l'Entre-deux-Mers constituent pour l’instant le seul essai à ambition commerciale en Gironde. Possédant une parcelle d’expérimentation de 25 ares, la cave coopérative de Tutiac envisage des plantations plus conséquentes en 2017. Dans le bordelais, un autre essai hors-recherche est en court, pour la mesure de la Valeur Agronomique, Technologique et Environnementale du réselle au château Chasse-Spleen (Moulis-en-Médoc).
* : Ces 21 cépages sont le Baco 22A blanc, le Colobel noir (ou 8357 Seibel), le 7120 Couderc noir, le Florental noir (7705 Burdin), le Garonnet noir (18283 Seyve-Villard), le Landal noir (244 Landot), le Léon Millot noire (194-2 Kuhlmann), le Maréchal Foch noir (188-2 Kuhlmann), l'Oberlin noir (595 Oberlin), le Plantet noir (5455 Seibel), le Ravat blanc (Ravat 6), le rayon d'or blanc (4986 Seibel), le Rèze d'or, le Rubilande rosé (11803 Seibel), le Seinoir noir (8745 Seibel), le Seyval blanc (5276 Seyve-Villard), le Valérien blanc (23410 Seyve-Villard), le Varousset noir (23675 Seyve-Villard), le Villard blanc (12375 Seyve-Villard) et le Villard noir (18315 Seyve-Villard).
Réellement lancé par le défunt Henri Ducourt, le grand-père de Jérémy Ducourt, le groupe Ducourt s'approche du groupe coopératif familial. Il réunit en effet 450 hectares des vignobles de la famille, pour 25 000 hectolitres de vin produits annuellement. A noter que l’expérimentation des cépages résistants ne représente donc que 0,6 % de la surface familiale.