L’Union des maisons et des marques de vin a déposé un recours gracieux auprès du Premier ministre pour que les interprofessions deviennent force de gestion dans les volumes complémentaires individuels (VCI).
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’appuyant sur la réglementation européenne, l’UMVIN estime que la régulation des VCI revient de plein droit aux instances interprofessionnelles, considérées par l’Union comme des outils de gestion économique. Une appréciation qui remettrait donc en cause les derniers décrets VCI, qui ne donnent aux interprofessions qu’un rôle consultatif. Ces arguments à l’appui, le négoce français vient de poser un recours gracieux à Matignon pour arbitrer entre ces deux lectures françaises et européennes. Pouvant être un préalable à un recours auprès du Conseil d’État, cette démarche scandalise les représentants du vignoble. Comme en témoigne la dernière assemblée générale de l’interprofession bourguignonne, on ne peut plus houleuse.
En quoi est-il scandaleux de demander un arbitrage ?
Portée par Michel Chapoutier, le président de l’UMVIN, ce recours s’inscrit dans la lignée des tensions qui ont parcouru la vallée du Rhône lors de la vendange 2015. Le négociant rhodanien n’avait alors pas caché son opposition concernant le curseur de VCI fixé pour l’AOC régionale en rouge. « Remettant l’église au milieu du village », il souligne que « le VCI est un formidable outil de gestion économique auquel le négoce est attaché. Mais dans le cadre européen*, ce sont les interprofessions qui doivent gérer les moyens de régulation (les VCI, mais aussi les autorisations de plantation). La production ne devrait pas se sentir lésée par cette demande d’arbitrage, surtout si elle considère que notre analyse est erronée ».
Chacun ses prérogatives !
Vue du vignoble, cette attaque du négoce est un volte-face inacceptable, des accords ayant été négociés au préalable, « dans les bureaux-mêmes de l’UMVIN », rappelle amèrement Bernard Farges, le président de la Confédération nationale des producteurs de vins et eaux-de-vie de vin à appellations d’origine contrôlée (Cnaoc). « De tout temps, les viticulteurs ont été la variable d’ajustement en période de crise, ils souhaitent maîtriser leur potentiel de production, qu’il s’agisse d’autorisations de plantation ou de VCI. Un pas important a été fait par le vignoble en acceptant les avis interprofessionnels sur le VCI. Aller au-delà reviendrait à donner un droit de veto. On ne l’acceptera jamais », avertit le viticulteur bordelais, qui n’hésite pas à agiter le chiffon rouge : « Maintenant, on va au carton. Et on espère que tous les négoces respectent bien les délais de paiement ! »
Le négoce a été roulé dans la farine
« Qu’il y aille, je signe des deux mains ! », lui répond du tac au tac Michel Chapoutier. S’il se montre ainsi solidaire du vignoble, il se plaint surtout d’avoir été trompé par ses représentants sur un autre dossier, celui des autorisations de plantation. Et revient sur les négociations de son application : « L’accord a bien été signé et intégré dans la stratégie de filière. Mais le négoce demandait que ses recommandations [NDLR : quand il est opposé à celui de la production] remontent à l’Inao, pour que le vote y soit fait en connaissance. Mais en pratique, la voix du négoce est réduite à un « avis », « oui » ou « non », et pas à sa proposition chiffrée et argumentée. Ça ne respecte pas nos négociations, c’est un passage en force », tonne le négociant rhodanien.
À trop tirer sur le fil, il se casse
Récusant tout coup tordu, Bernard Farges lâche dans un soupir : « Je veux bien qu’il s’agisse de son interprétation, mais il n’y a pas que lui et moi à avoir rédigé le texte. Et je suis convaincu que les négociants savent aussi bien lire le français que les viticulteurs… » Redoutant des positions jusqu’au-boutistes, le viticulteur bordelais craint un affaiblissement du modèle interprofessionnel, jusqu’à appréhender un retrait de certaines AOC. Le négoce estime au contraire qu’en confiant aux interprofessions le pilotage du potentiel de production, les « passagers clandestins » n’ont plus d’autre choix que d’y adhérer.
* L'UMVIN fait ici référence à l'article 167 du règlement européen n°1308/2013, qui fixe les « règles de commercialisation visant à améliorer et à stabiliser le fonctionnement du marché commun des vins ». Et postule notamment qu'« afin d'améliorer et de stabiliser le fonctionnement du marché commun des vins, y compris les raisins, moûts et vins dont ils résultent, les États membres producteurs peuvent définir des règles de commercialisation portant sur la régulation de l'offre, notamment par la mise en oeuvre de décisions prises par des organisations interprofessionnelles reconnues au titre des articles 157 et 158. »
Contentieux négoce vs production : déjà un précédent
En 2014, le négoce avait déjà porté un contentieux auprès du Conseil d’Etat, dénonçant la circulaire autorisant, par dérogation, l’achat de vendanges par des vignerons sinistrés. La plus haute juridiction administrative a annulé ce texte en 2015, conduisant à une union de la filière pour obtenir la suppression de l'obligation d’épalement des cuves pour tous les opérateurs (par le passé, seuls les titulaire d'une carte de négociant étaient concernés. Une évolution réglementaire qui permet désormais aux vignerons d'acheter des raisins et vins en dehors des sinistres climatiques et au-delà du précédent plafond de 5 %. Mais l'origine contentieuse de ce changement administratif a marqué les esprits dans le vignoble, contribuant au conflit actuel.